Voler l'Etat est-il toujours aussi facile ?
PORT-AU-PRINCE, 12 Février – Parmi les proverbes haïtiens qui ont la vie la plus dure on pourrait citer celui qui dit : voler l'Etat ce n'est pas voler !
Mais c'était avant la création de nos institutions de lutte contre la corruption (les UCREF, ULCC et autres). Depuis vous risquez non seulement de surprendre toutes sortes de commentaires peu sympathiques dans votre dos mais surtout de finir dans la rubrique internationale de la lutte contre le blanchiment des avoirs.
Aujourd'hui voler l'Etat c'est donc à vos risques et périls.
Outre que ce n'est plus aussi facile qu'avant. En effet, l'Etat a mis en place une série de mesures visant à une meilleure protection des fonds publics.
Pour commencer en cassant la chaine, en isolant les diverses mailles entre elles.
Un ministre n'a plus la même latitude qu'autrefois, ni un directeur général, ni un administrateur, ni un comptable public.
Ni un premier ministre.
Ni le président de la république.
Chacun étant délimité dans ses attributions vis à vis de la caisse publique, aucun ne peut disposer de celle-ci à sa guise.
Sauf à s'organiser à plusieurs. D'où l'expression devenue aujourd'hui inséparable de la rubrique corruption : association de malfaiteurs.
Pour voler l'Etat il faut se mettre aujourd'hui à plusieurs, ou vulgairement parlant : en 'gang'.


D'abord la disposition des acteurs. Aucun ministre ne peut solliciter des fonds sans passer par une disposition préétablie. Seul le premier ministre qui le peut. Et encore. Donc toute requête est adressée au bureau du premier ministre qui procède à une première évaluation et décide si elle est recevable.
Si oui, la réquisition est acheminée au ministère des finances.
Mais ce n'est pas fini. Le screening continue, pour ne pas dire le suspense, jusqu'à la dernière étape, celle du comptable public. Ah le terrible comptable public. En effet ce dernier non seulement refait toute l'évaluation de la demande mais il ne peut procéder que selon les disponibilités du trésor. Or celles-ci, comme tout le monde sait, sont aujourd'hui très raréfiées.
Ainsi comment voler l'Etat aujourd'hui sinon par une chaine de complicités qui engloberait toutes les étapes que nous venons de voir : tel ministère, encore que le ministre ne peut procéder sans l'aval de son directeur général, puis l'étape de la primature (ou bureau du premier ministre), puis les différentes phases de l'évaluation quand la réquisition atteint le ministère des finances, jusqu'au comptable public.
D'où l'expression association de malfaiteurs. Ce n'est pas, comme on pourrait croire, une sorte de littérature passe-partout. C'est bien une réalité. Hélas !
Comme dans le 'Pénélopegate', la chronique électorale en France où l'épouse d'un des candidats les plus importants, Mr. François Fillon (parti Les Républicains, droite) est accusée d'avoir touché de gros salaires pour des emplois fictifs, c'est-à-dire inexistants sinon sur la feuille de paye et cela pendant que son mari était premier ministre. Il n'existerait donc pas de comptable public en France !
Mais revenons chez nous où c'est pas fini dans la chaine de dispositions mises en place pour empêcher sinon prévenir le vol de l'argent public.
Il y a aussi l'invention du compte unique.
Qu'est ce que c'est ? Eh bien toutes les sorties de fonds au nom de l'Etat haïtien doivent passer par un seul compte. Cela permet non seulement un meilleur contrôle des dépenses effectuées, non seulement un meilleur suivi de la destination prise par les fonds dégagés (encore la lutte contre le détournement et contre l'argent sale) mais aussi limite autant que possible le gaspillage de l'argent public.
On a vu sous certains gouvernements plus de 5 comptes fonctionnant en même temps. Chaque grand chef pouvant disposer à sa guise de son propre robinet.
Mais sous la présidence provisoire de Mr Jocelerme Privert, fiscaliste de profession, on est allé encore plus loin avec le système dit du 'cash management.'
Dans ce système, les seuls fonds disponibles sont ceux qui ont été récoltés le même jour. L'Etat ne peut dépenser que ce qu'il a sous la main.
Ce qui augmente encore plus le suspense au niveau du comptable public qui vous attend au bout de la chaine.
Non seulement ce dernier ne peut faire de cadeau, tellement limité dans ses mouvements, mais si votre demande n'est pas prioritaire vous risquez sinon d'être renvoyé aux calendes grecques mais de devoir patienter longtemps derrière la porte.
Voler l'Etat ce n'est plus de la petite bière.
On a entendu le président Privert lors de l'ouverture de la première séance en assemblée nationale au parlement en janvier dernier, dire comment son administration a pu aider la banque centrale (BRH) à augmenter les fonds de réserves (passant de quelque 600 millions à 900 millions de dollars américains).
Ces réserves en devises fortes (principalement en billets verts) doivent être disponibles pour payer les importations indispensables (pétrole et autres).
Eh bien c'est un autre résultat de la politique du cash management. L'Etat (ou plutôt le gouvernement) se débrouille avec ce qu'il a, décidant de ne pas avoir recours au fond de réserves pour financer le budget public.
L'Etat-Privert a voulu en faire plus, comme établir un conseil d'administration pour toutes les grandes 'boites' de l'Etat dont certaines brassent des millions (et pas seulement en gourdes) à longueur d'année.
Ce sont les banques de l'Etat (BNC, BPH), les offices d'assurances publics (ONA, OFATMA), la douane (APN), l'aéroport international (AAN), ou le fameux BMPAD (bureau de monétisation) qui se vit confier la gestion des centaines de millions de dollars du fonds Petrocaribe.
Certaines de ces institutions réalisent de gros profits en fin de période fiscale.
Que deviennent ces profits ?
Un conseil d'administration permettrait d'y voir un peu plus clair.
A moins d'ajouter aussi ledit conseil dans la chaine d'association de malfaiteurs. Tout est possible.
Toujours est-il que aujourd'hui voler l'Etat reste toujours possible. Mais c'est de plus en plus à vos risques et périls.
De plus le fonctionnement de l'Etat n'est plus le même et un pouvoir qui le veut, a plus de possibilités de limiter les dégâts.

Marcus-Haïti en Marche, 12 Février 2017