L'Etat c'est à moi !
PORT-AU-PRINCE, 28 Avril – Louis XIV a dit : L'Etat c'est moi ! L'Haïtien dit : l'Etat c'est pour moi. 'Leta se pou mwen. Se pa m.'
Le chauffeur roule comme si 'la ri a se pou li pou kò l'. Le taxi moto, plus encore. A peine descendu de sa montagne (ceci dit sans discrimination aucune), ce jeune homme sur son cheval motorisé se comporte comme un roi.
Le papa qui bat son enfant considère en avoir le droit. Quand ce n'est pas sa femme.
C'est en toute chose que l'Haïtien, quelle que soit la catégorie sociale ou même son niveau d'éducation, a un comportement identique.
Difficile que cela soit différent quand on entre dans le domaine politique.
Qui pis est, étant donné que l'on partage les mêmes us et coutumes, le citoyen ne semble plus réellement s'émouvoir quand il est placé devant les excès commis par les gens au pouvoir vis à vis de la caisse publique.
C'est une terrible déconvenue pour ceux qui ont tant lutté contre les débauches commises sous la dictature trentenaire ('criminelle et cleptomane', dixit le New York Times) des Duvalier - que l'opinion nationale ne semble pas aujourd'hui en faire une priorité.
Au point que les gens au pouvoir, selon leur degré de moralité, n'ont pas tant à s'en faire.

Le seul vrai pouvoir est économique ...
Au point aussi que les forces qui dominent le pouvoir ne sont plus les formations politiques comme cela avait semblé au lendemain de la chute de la dictature (1986) et au début de notre interminable transition démocratique, mais aujourd'hui les puissances économiques, et bien entendu pour continuer à étendre leur toute-puissance.
Le seul vrai pouvoir est économique. Le pouvoir législatif vote selon qui doit bénéficier des nouvelles lois, et ce n'est sûrement pas le pauvre citoyen (attitude lors de la Déclaration de Politique générale du Premier ministre Fritz-Alphonse Jean où celui-ci a été débouté par les députés sans aucun débat) ; le pouvoir politique marche sur des œufs parce qu'il ne faut pas déranger les puissants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, au point que les politiques n'ont plus qu'une seule ambition, c'est devenir une petite puissance économique aussi soi-même ; le pouvoir judiciaire ne peut prononcer un seul jugement parce que c'est tout l'ensemble qui est pourri et on risque d'être responsable de la disparition de toute la société, et de celle-là même qu'on appelait la bonne société !

Du déjà vu ...
Prenons ces auditions conduites par le sénat sur les fonds Petrocaribe, plusieurs centaines de millions mis généreusement à la disposition de l'Etat haïtien en marge des livraisons de pétrole par le Venezuela, en souvenir de l'amitié des présidents haïtien et vénézuélien Pétion et Bolivar (1816) et plus près de nous feu Hugo Chavez.
Premiers ministres, ministres des finances et autres continuent de défiler. Mais quelle est la finalité de ces interrogatoires et témoignages ? La commission sénatoriale d'enquête ne s'est pas souciée de le dire.
Pour le citoyen, c'est donc du show business. Du déjà vu. Ce n'est pas en tout cas ce qui va lui faire changer de conception, savoir que l'Etat c'est à moi. A celui qui en est l'occupant.
Mais ironiquement voici que le même sujet rebondit à l'autre bout et sous une autre forme : un deal conduit pour bénéficier toujours des fonds Petrocaribe mais de l'extérieur. Sous le même pouvoir Martelly, hauts fonctionnaires et proches du pouvoir, ne se contentant pas seulement de puiser dans les fonds à l'intérieur pour mettre au point des projets qui font aussi leur affaire, mais voici que les lois du marché du pétrole forçant le Venezuela à diminuer ses livraisons à Haïti, les mêmes se mettent rapidement en position pour tirer aussi avantage, en exclusivité, des achats de pétrole que nous sommes obligés de faire de Trinidad et Tobago.
Cela à la même époque (2014) où la population se battait pour obtenir une baisse des prix du gallon à la pompe alors que partout la gazoline coûtait moins cher, sauf en Haïti.
Les mêmes profiteurs ne pouvaient accepter de ne pas continuer à amasser des millions. Et de partout à la fois. Aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Le bien mal acquis ...
La commission sénatoriale, évidemment prise de court, a aussitôt annoncé la formation d'une sous-commission pour enquêter sur le nouveau scandale.
Mais comment enlever de l'esprit des gens que tout cela c'est du cinéma. Et que c'est 'kase fèy kouvri sa'.
Ce n'est donc pas demain que nous pourrons convaincre la population que c'est dans le partage et le respect des droits d'autrui que se révèle le bon citoyen.
Quand les plus grands violateurs de ce principe peuvent continuer de jouir sous nos yeux du bien mal acquis sans être dérangés.
Voire lorsque le 'blanc' (qui veut toujours jouer le moralisateur mais lui aussi dans le sens de ses intérêts) ne semble rien y trouver d'anormal.

Haïti en Marche, 28 Avril 2016