PORT-AU-PRINCE, 18 Novembre – Le Conseil électoral provisoire a trois politiques différentes : une pour lui-même, une à l'égard de nos tuteurs internationaux et une pour les forces nationales, en l'occurrence les candidats à la présidence, à l'exception de celui du pouvoir.
Après une rencontre lundi (16 novembre) avec le groupe des 8 candidats (G8) qui sollicitent la formation d'une commission d'enquête indépendante sur les irrégularités reprochées au scrutin présidentiel du 25 octobre écoulé (et rencontre à l'invitation du CEP), ces derniers reçoivent dans la nuit, en guise de réponse à leur demande, un communiqué de l'organisme électoral, selon lequel le décret électoral en vigueur ne donne pas 'provisions' au Conseil pour former une telle commission.
Rappelons qu'il s'agit d'une entité qui serait formée de personnalités indépendantes et capables d'une évaluation impartiale du 1er tour du scrutin présidentiel, et surtout d'une vérification du comptage des votes et de la transparence dans leur enregistrement et le calcul des résultats.
Voyons si l'argument du Conseil électoral peut tenir, savoir que le décret électoral en vigueur ne l'habilite pas à former une telle commission ?
Alors que lui-même vient de se doter d'une commission pour la même tâche.
En effet, devant les critiques émanant des candidats et des organismes haïtiens d'observation électorale, le Conseil électoral a formé en son propre sein une commission de réévaluation. C'est-à-dire composée de membres choisis dans ses rangs, parmi les conseillers électoraux eux-mêmes.
Ce qui vaut donc pour le Conseil, ne vaut pas pour les candidats. Alors que dans le processus des élections, c'est de ceux-ci qu'il s'agit au premier chef. Les candidats et les élections. Le CEP n'est qu'une simple bureaucratie.
Le CEP pratique donc une politique de deux poids et deux mesures selon qu'il s'agisse de lui-même, ou des candidats.
Mais revenons un peu plus en arrière.
On est en 2010, les présidentielles qui conduiront Michel Martelly au pouvoir.
Les élections ont lieu le 28 novembre 2010.


Le jour même des élections, en plein déroulement du vote, avant qu'aucune évaluation n'ait commencé, le bruit court que les élections sont détournées en faveur du candidat du pouvoir. Vrai ou faux ?
On est sous la présidence de René Préval et le candidat du pouvoir s'appelle lors Jude Célestin.
Le même Jude Célestin qui vient aujourd'hui en seconde position pour le second tour après le candidat du président Martelly, Mr Jovenel Moïse.
Toujours est-il que dès l'après-midi du 28 novembre 2010, les candidats de l'opposition organisent une réunion publique dans un grand hôtel de la capitale.
On décida de boycotter les élections, sous l'accusation de fraudes. Mais peu se soucient de documenter lesdites fraudes. De savoir si elles sont vraies ou fausses. Ni dans quelles proportions ? Est-ce que cela vaut l'annulation des élections ? Toutes questions posées aujourd'hui, mais pas en 2010-2011.
Le gouvernement Préval se laissa bousculer, sous toutes sortes de menaces de la part de la communauté internationale. Le gouvernement haïtien, alors que ce serait plutôt aujourd'hui la tâche du CEP, accepta de nommer une commission d'évaluation du vote, quand bien même la journée électorale n'avait pu prendre fin.
Mais, différence notable : une commission internationale.
Washington et l'ONU, les deux principaux maitres d'œuvre, décidèrent lors de confier la composition de cette commission à l'Organisation des Etats Américains (OEA).
La commission OEA conclut, in limine litis (avant toutes choses) qu'il y a eu fraudes en faveur du candidat du pouvoir. Celui-ci (Jude Célestin puisqu'il faut l'appeler par son nom), qui arrivait en seconde position avec Mme Mirlande Manigat pour le second tour (comme aujourd'hui avec le candidat de Martelly, Jovenel Moïse, si l'on en croit les résultats proclamés par le CEP), Jude Célestin fut déchouqué manu militari de la seconde place (y compris avec incendie du siège du parti officiel, INITE, par les partisans de Martelly ... donc des violences non encore enregistrées aujourd'hui, Dieu merci) et remplacé par le chanteur Michel Martelly.
Le second tour se déroula le 20 mars 2011. La candidate Mirlande Manigat, abandonnée seule dans la fosse aux lions, fut balayée par une gigantesque coalition interlope formée de commerçants importateurs organisés en monopoles, d'anciens duvaliéristes et de putschistes rescapés du coup d'état militaire de 1991 et surtout de stratèges mercenaires étrangers dépêchés sur les lieux, enfin avec la bénédiction et même des fonds de capitales étrangères (Washington, Ottawa plus ONU, OEA, Union européenne ...).
Et Michel Martelly passa de la 3e place au premier tour, à celle de vainqueur absolu du second tour. Avec un score plus du double de Mme Manigat.
Tout le monde se courba, vu que le résultat avait été homologué par une commission dite indépendante.
Oui une commission internationale.
Donc jugement deux poids et deux mesure du CEP (dont le directeur général était déjà un certain monsieur Pierre-Louis Opont), selon qu'il s'agisse de la communauté internationale, c'est-à-dire l'axe Washington-ONU-UE-France-OEA ... ou des candidats haïtiens eux-mêmes.
Ces derniers auraient-ils demandé, comme le président Préval en décembre 2010, une commission internationale ... qu'ils auraient plus de chance d'être entendus.
Conclusion : l'Haïtien (la société haïtienne) n'est donc pas suffisamment digne ; on ne peut lui faire confiance quelque soient les personnalités et secteurs choisis, pour trancher des questions intéressant son propre pays. C'est indirectement ce que veut dire aussi la réponse du CEP au groupe des 8.
Ainsi donc après quelque 3 heures de discussion le lundi 16 novembre avec les 8 candidats, les conseillers électoraux s'excusèrent pour aller étudier la requête les invitant à procéder à la formation d'une commission indépendante d'investigation ... nationale !
Vers deux heures du matin, la réponse tomba : c'est un non catégorique.
Or le CEP connaissait bien le dossier avant d'avoir convoqué les 8 candidats puisque la question avait fait l'actualité. Outre plusieurs communiqués explicatifs de la part des candidats eux-mêmes.
Pourquoi alors la rencontre ? Le CEP avait-il besoin de montrer qu'il écoute la voix de ses contradicteurs, qu'il n'agit pas de manière totalitaire.
Mais son argument, savoir que le décret électoral ne permet pas la formation d'une commission indépendante, ne tient pas la route, étant donné qu'il avait pu créer peu de temps auparavant sa propre commission, dont il assurait (d'ailleurs) de sa neutralité et son impartialité.
Soit le Conseil devait consulter ses 'supérieurs'.
Est-ce le président Martelly ? Supposons que soit approuvée la formation d'une commission indépendante haïtienne, c'est la menace de l'exclusion du candidat officiel du second tour, celui-ci étant accusé par l'opinion (et de plus en plus dans les masses populaires) d'être le bénéficiaire des « magouilles').
Soit la réponse devait provenir de l'international qui, au cas où les choses se gâteraient pour de bon, comme cela menace, veut se réserver le pouvoir de trancher lui-même, comme en 2010-2011.
Deux poids, deux mesures. Mais soit en faveur du CEP lui-même (mais qui doit toujours d'abord s'adresser à plus haut que lui), soit en faveur in fine de l'international.
Mais jamais des acteurs locaux!

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince