MIAMI, 27 Décembre – Haïti n’entre pas dans les projets politiques du président américain Joe Biden. Ce n’est pas un choix basé sur Haïti elle-même, ni en rapport avec les acteurs politiques haïtiens quels qu’ils soient, mais le président Biden considère avoir pour mission (justement puisqu’on est à l’heure des bilans de fin d’année et des vœux pour l’année nouvelle) de recentrer les fondamentaux de la politique américaine dans le monde … mais aussi aux Etats-Unis d’abord !
Autrement dit consolider les intérêts américains dans le monde, et en même temps remettre les Etats-Unis à la hauteur de ces nouveaux défis.
Surtout après le passage de l’ouragan Donald Trump, ce dernier personnifié dans l’image des casseurs qui ont envahi et mis à sac le temple même de la démocratie américaine, le bâtiment du Congrès à Washington D.C., ou Capitole, le 6 janvier 2021.
Faisant un grave accroc à l’image internationale du pays qui ne manque jamais une occasion de rappeler, par exemple à la Chine le ‘massacre de Tien An Men’, quand les forces de sécurité ont écrasé une révolte étudiante à Pékin.
Par conséquent la crise haïtienne actuelle tombe à un bien mauvais moment : Ou les Haïtiens s’en sortent par eux-mêmes. Ou Haïti peut bien disparaitre. On y reviendra.
Biden considère qu’il n’a pas été élu pour jouer à la marelle avec les petits dirigeants du Tiers Monde, que ce soit Haïti ; que ce soit encore la Syrie (avec sa guerre civile aux centaines de milliers de morts … mais justement dont on ne parle plus depuis l’arrivée du président démocrate à la Maison Blanche) ; en même temps qu’il faut trouver un nouvel arrangement avec l’Iran à propos de l’énergie nucléaire tandis qu’il est conseillé vivement à l’état d’Israel de ne pas faire trop de vagues, son invasion de la Bande de Gaza n’a pas été un succès, etc.
Evidemment personne ne s’y attendait. Pas plus nous autres Haïtiens, habitués à faire les quatre cent coups puis les Marines viendront nous séparer comme ce fut le cas deux fois de suite en moins de deux décennies (1994 et 2004) ; mais ni non plus le gouvernement français en voyant les Etats-Unis leur ravir un contrat signé avec l’Australie pour la livraison à celle-ci de sous-marins, d’un coût de 56 milliards d’euros … cela au nom des nouvelles exigences stratégiques pour barrer la route dans le Pacifique à la nouvelle puissance considérée comme la principale menace pour les intérêts américains, la Chine (Pékin bien sûr).
C’est la nouvelle ‘Alliance Pacifique’ : USA-Grande Bretagne-Australie (comme on parlait jusqu’ici de l’Alliance Atlantique).
L’équilibre stratégique mondial, tel que conçu par Washington, a changé d’axe. Et c’est toute l’architecture mondiale qui s’en trouve affectée. C’est la grande surprise avec l’arrivée de Biden, et que personne ne semblait avoir prévu. A quoi servent donc toutes ces grandes universités, tous ces ‘think thanks’ ou boites à penser … y compris celles que nos dirigeants haïtiens arrosent si copieusement pour faire leur campagne (‘lobbysm’) sur les rives du Potomac … on comprend donc pourquoi aussi chez nous c’est tout le jeu politique qui soudain est totalement gelé. ‘Anwo pa desann, anba pa monte.’
C’est dans le même ordre d’idées qu’il faut aussi inscrire la décision hâtive (et mal digérée par les partenaires européens) de rentrer les troupes américaines déployées depuis 20 ans en Afghanistan, même si l’accord en question avait été signé sous son prédécesseur Donald Trump.
Biden c’est la redéfinition des intérêts stratégiques des Etats-unis dans le monde mais pas seulement sur le papier, mais c’est, quitte à heurter certains alliés, la prise aussi des décisions en conséquence.
Il est certain que le reste du continent américain n’est pas particulièrement privilégié dans ce contexte, étant tout à fait à l’autre bout du monde, de l’autre côté du Pacifique, voire Haïti et ses problèmes si entortillés qu’ils en deviennent banals !
Bref un nouvel équilibre des forces.
Personne qui l’attendait de la part de ‘Sleepy Joe’ (ou Joe l’endormi) comme le surnommait Trump pendant la campagne présidentielle.
Alors qu’il peut paraitre conservateur à l’extérieur, Biden est plus évolué que tous ses prédécesseurs, y compris les démocrates Barak Obama et Bill Clinton, dans son agenda de politique intérieure.
Et pas seulement avec des mots.
C’est son cabinet qui rassemble le plus de non-blancs (afro-américains, amérindiens, asiatiques, antillais), c’est l’équipe gouvernementale la plus diversifiée qu’on n’ait jamais vue (presqu’autant de femmes que d’hommes mais aussi des bisexuels, transgenres …), avec aussi des hauts fonctionnaires de différentes origines étrangères, y compris haïtienne.
C’est tout à fait aux antipodes des choix de Trump et sa tolérance marquée pour le ‘white supremacism’ ou extrémisme blanc.
Comment faire en effet la leçon au monde quand chez soi on tolère les mêmes travers ?
Jusqu’à l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole qui est la négation de tout ce que les Etats-Unis ont voulu représenter, se targuent d’incarner aux yeux de la planète entière. Du moins depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et son rôle autoproclamé ( ! ) de modèle par excellence du système démocratique.
Par conséquent, deuxième obligation pour Joe Biden : refaire l’unité autour de la ‘bannière étoilée.’
Comme au temps de la Conquête de l’Ouest, le ‘rally around the flag’ (tous autour du drapeau).
Car justement c’est la suprématie américaine elle-même qui se sent menacée, devant un défi. Toutefois, la barre à tribord, les initiatives actuelles de Washington laisseraient croire que ce n’est plus aujourd’hui du côté de Moscou (Poutine est plus un adversaire symbolique ou secondaire que réel) …
Cependant, comme dit un proverbe : avant de voir la paille dans l’œil du voisin, il faut balayer d’abord devant chez soi. Or cela n’est pas sans difficultés au pays de ce qu’on appelle le racisme systémique, autrement dit ancré dans les institutions depuis plusieurs siècles, et encore résistant (rien qu’à suivre les derniers procès devant le tribunal criminel pour meurtre, cette année presque tous des blancs ayant tué des noirs, y compris dans la police) …
Mais aussi le pays, probablement le seul au monde, où les armes de tout calibre sont vendues comme des jouets !
Dont une grande quantité aboutit d’ailleurs aujourd’hui aux mains de nos gangs armés en Haïti. Or, disons-nous, Biden est trop occupé pour s’occuper de nos affaires pour nous, Haïtiens.
Et puis pour clore le tout, la pandémie qui vient de redémarrer toujours aussi brutalement qu’avant avec le nouveau variant Omicron.
Il est vrai d’ailleurs, autre bizarrerie, qu’Haïti est le seul pays qui jusqu’à présent ne s’inquiète guère du Covid, contrairement à notre voisine territoriale, la République dominicaine, qui prend de nouvelles mesures de protection.
Ce n’est donc pas un choix ni personnel ni prémédité (on lit aux Etats-Unis dans des commentaires de presse que Biden était déjà opposé à l’intervention américaine en Haïti en 1994 pour ramener le président Aristide au palais national, disant que, selon lui, Haïti n’est pas d’un grand intérêt pour les Etats-Unis …).
Ceci étant dit, ce sont les choix stratégiques de l’actuelle administration américaine qui ne permettent pas d’espérer une plus grande intervention pour débloquer la crise haïtienne …
A moins que cette crise deviendrait elle-même un objet de … menace pour les intérêts américains.
Mais ici c’est une autre paire de manches.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 27 Décembre 2021