Haïti : un peuple désarmé face aux gangs
PORT-AU-PRINCE, 13 Août – L’Haïtien a toujours vécu à l’intérieur de barrières.
Qu’elles soient sociales et coloristes ; socio-économiques bien sûr ; géographiques (citadins - paysans) et jusqu’au sein même des familles : rapports adultes-enfants, qui plus est au niveau de la domesticité - héritage de l’époque coloniale entre esclaves de maison et ceux de la plantation (‘moun nan mòn’).
Mais les gangs armés qui aujourd’hui ont pris entièrement possession de la capitale, forcent à une nouvelle subdivision, une nouvelle discrimination
On a besoin de mieux assurer la protection de son domicile, et de fil en aiguille celle de son quartier, et de plus en plus aussi de toute l’agglomération où l’on habite.
C’est l’entrée en scène des barricades.
Tous se réfugient derrière des barricades. Les gens, puis les voisins, puis tout le quartier. Ceci au sens propre, mais au fond c’est un état d’esprit général qui se développe, qui s’est développé partout, par la force des choses vu l’absence des pouvoirs publics.
Les dirigeants quant à eux se déplacent en voiture blindée et sous la lourde protection des forces de sécurité officielles.
Il ne reste pour le citoyen que le proverbe créole : ‘se chak koukou klere pou tou je l’, traduisez c’est le chacun pour soi. En américain : ‘every man for himself.’
Nous avons rétrogradé, mais même pas au niveau du Moyen Age où le peuple réfugié au château du seigneur des lieux, bénéficiait de la protection de ce dernier.
En Haïti en l’an 2022, nos dirigeants n’en ont cure.
Récapitulons. Le soir, pardon dès le coucher du soleil, on s’assure d’avoir bien cadenassé la barrière principale de la maison (plutôt une seule aujourd’hui), avec si possible un gardien de nuit ; puis chaque porte du domicile est passée au peigne fin, jusqu’à celle de la chambre à coucher. Outre qu’on ne dort que d’un œil.
Mais au fur et à mesure que l’insécurité progresse, que le danger se fait toujours plus pressant - côté nord les ‘400 Mawozo’ et la bande à Vitelhomme, allègrement assassinant, kidnappant, voire brûlant vifs leurs victimes … et détournant les produits industriels empruntant cette voie ; côté sud les ‘Ti Lapli’ achetant la sortie sud de la capitale comme on dit ‘argent comptant’, verrouillant le contact avec 4 départements géographiques du pays et condamnant les sinistrés du séisme du 14 août 2021 (magnitude 7.2) à la famine totale ; cela en même temps que ‘Izo 5 Sekonn’ déborde son fief de ‘Village de Dieu’ pour prendre possession de tous les établissements de l’Etat (Palais de Justice et autres), mettant le feu à la Cathédrale historique de Port-au-Prince, bref de plus en plus et au fur et à mesure, le citoyen de la capitale n’a qu’une seule alternative : s’enfuir ? Non, se battre.
Bien sûr avec les moyens du bord. D’où les barricades.
Chaque matin après avoir défait une à une celles de son propre domicile, un premier check à la radio, ou mieux sur les réseaux sociaux pour savoir si on peut oser mettre le nez dehors.
Alors prenant son courage à deux mains on affronte la réalité.
Avec la peur au ventre, mais que voulez-vous !
S’ouvre une première barrière métallique qui reste fermée toute la nuit et ne s’ouvre que pour les résidents bien identifiés et identifiables.
Puis dix minutes plus tard, une autre barrière, et ainsi de suite.
Cependant que dans les quartiers du bas de la capitale où règne la surpopulation, eh bien les barrières métalliques sont éventuellement remplacées par des barricades enflammées hautes comme ça et brûlant du matin au soir.
C’est ainsi que, du haut au bas de la ville, Port-au-Prince organise sa défense contre les gangs.
Cependant, vous aurez remarqué, toujours point de ‘tête ensemble’. Les rapports sociaux n’ont guère changé. Malgré la similitude de la menace et qu’elle se rapproche pour tout un chacun, c’est la même réaction du chacun replié sur soi-même.
Le danger est le même mais la réaction toujours marquée par la même absence historique de relations, d’inter-relations. En-haut la ville, en-bas la ville !
Bien entendu seuls en profitent les gangs.
A la question puisque ces derniers sont issus du petit peuple, pourquoi alors persécutent-ils aussi les petites gens, les moins fortunés ?
Réponse c’est là leur principal avantage, ce sont des amoraux. Pour eux tout ça c’est de l’histoire ancienne, du radotage. Et c’est un dernier piège dans lequel ils ne veulent pas tomber. Pas de sentimentalisme.
Et c’est aussi leur force vis-à-vis de l’international. Les gangs haïtiens n’ont ni pitié, ni sentiment, par conséquent aucun sens idéologique que ce soit.
Or cela suffit au ‘blanc’.
Alors que les plus grandes forces armées de la terre se déchainent contre le djihadisme (terrorisme islamiste), eh bien c’est de ces mêmes pays, c’est de chez eux encore que proviennent les armes aux mains des gangs haïtiens, comme vient de le démontrer le Homeland Security Investigations américain, que c’est de la Floride que proviennent les fusils de ‘sniper’ vendus à ‘60 mille dollars l’unité et au marché noir’.
Quelle leçon reste-t-il alors pour les Haïtiens ?
Que c’est fini le temps où un dénommé ‘Général 3 pas’ (années 1940-1950) traçait une ligne de démarcation que ne devait franchir sous aucun prétexte le petit peuple du bas de la capitale, ce pour en protéger les familles ou ‘bèl moun’ de Turgeau !
Est-ce que la situation actuelle est un ‘wake up call’, le dernier avertissement qu’il nous faut changer ?
Bref, faire front commun.
On ne voit encore aucun signe de ce genre.
Sauf que jusqu’ici … la réponse, ou plutôt la vraie question c’est l’absence de leadership.
Gouvernement de transition ou opposition, à ce niveau c’est du pareil au même, ‘se myanm myanm kaka chat’, c’est tous du temps perdu. Remis à ses parents.
Pourquoi aussi un Biden est si peu pressé !
Mais c’est aussi, ‘bat chen tanm mèt li’. ‘Jou va jou vient’.
Avec des armes ou … avec un bulletin de vote.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 13 Août 2022