Adieux à Yanick Etienne !
MIAMI, 2 Avril – Décès de la chanteuse Yanick Etienne. Encore le cancer du col de l’utérus. Même à New York qui est sa ville natale puis Miami où elle résidait, qu’on n’a pas su le déceler à temps. Le même mal a frappé la semaine précédente à Port-au-Prince une autre regrettée, la prêtresse vodou Euvonie Georges Auguste.
Yanick Etienne est une de nos plus talentueuses interprètes mais au sens américain - afro américain, et dans la lignée des plus grandes : Mahalia Jackson et surtout Sarah Vaughan avec leurs jeux vocaux raffinés absolument inouïs et une tessiture étendue jusqu’au vertige.
Sa carrière est un vrai challenge : une petite fille d’Haïti, fille d’immigrants haïtiens pétris de culture populaire haïtienne, c’est-à-dire entre le vodou (mais aussi aujourd’hui la musique évangélique) et le compas direct (musique de danse la plus répandue dans le milieu haïtien), peut-elle chanter le blues et le soul, exprimer nos vrais sentiments dans cette musique qui à la fois nous attire mais n’est pas nôtre …
Un vrai défi.
Mais Yanick Etienne y croit. Et elle y est arrivée. Sa chanson ‘Mistè Damou’ est un joyau qu’on ne peut pas finir d’écouter.
D’abord la chanson ‘blues’ n’est pas un poème surréaliste mais encore mieux, c’est un assemblage de quelques mots simples mais déjà en eux-mêmes une partition musicale sur mesure épousant les prouesses vocales de l’artiste et jusqu’aux plus subtiles. Comme quoi le naturel est un effet de l’art.
Ou encore faire passer les sentiments les plus simples mais dans un accent presque plus vrai que nature, et qui les transporte à des sommets.
Débarquant en exil après la rafle contre la presse par la dictature Duvalier en 1980 c’est aujourd’hui que nous constatons comment la voix de Yanick Etienne a joué pour nous un rôle de voie de passage obligée en quelque sorte dans notre adaptation au nouvel environnement. Au sens culturel et pas seulement. C’est-à-dire entre la banalité des soirée haïtiennes de bal ‘bleng bleng’ et le creux qu’on a à l’estomac de ne pas se sentir dans son assiette et on ne sait pour combien de temps.
Bien sûr qu’elle ne ressemble à aucune chanteuse haïtienne connue, elle s’habille pas ‘new-look’ mais de façon encore plus simple comme quoi pour mieux atteindre les sommets il faut se débarrasser de toute fanfreluche.
On nous dit qu’elle n’a pas réussi à accrocher en Haïti. Même en rappelant dans une autre composition : ‘Se fanm kreyòl mwen ye.’
Elle chante en créole mais une langue adaptée davantage aux exigences du rythme que de la grammaire.
Oyez ça :
‘Ou k pou mizè m
Ou k pou bonè m
Ou k fi n gate m
Fi n abitye m
Ou k fi n montre mwen fè lanmou
Nan ou ma p viv cheri
Si ou kite m mwen si nou tou de va mouri …’.
Et dans ce cri profond et déchirant, qu’on connait seulement à une Sarah Vaughan : ‘I love you baby.’
La seule chanteuse haïtienne authentique de notre diaspora aux Etats-Unis, c’est-à-dire exprimant nos sentiments dans la culture locale et la culture locale sans se départir de nos sentiments d’origine, sans être noyée surtout par ce monstre dévorant qu’est le show business américain qui n’épargne personne, comme cette affaire stupide de l’acteur Will Smith qui lors de la soirée des Oscars a giflé le présentateur, un autre afro-américain de renom, et c’est tout ce dont la télévision nous abreuve depuis deux semaines …
Bon voyage Yanick.
We love you baby.
Et puis, comme dit Nougaro, et puis le sax qui dans un dernier hoquet, disparait dans la nuit ...
Elle avait seulement 63 ans.
Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince