Haïti pays de la tolérance culturelle

JACMEL, 20 Septembre – Si Justin Trudeau avait été premier ministre en Haïti il aurait pu se déguiser comme il veut que cela ne ferait de mal à personne.
Nous avons hérité nous peuple haïtien d’une culture ouverte sur l’universel et qui réconcilie toutes les contradictions ou presque. Au point que beaucoup de phénomènes qui paraissent de plus en plus choquants dans une société, surtout à l’occidentale, aujourd’hui plus sensible aux rapports humains, en Haïti si l’on peut dire cela glisse sur notre cuirasse.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, est au centre d’un scandale. Sous le titre : ‘Trudeau rattrapé par une vieille photo de ‘blackface’ on lit : Justin Trudeau a présenté mercredi ses « profondes excuses » pour s’être maquillé le visage en noir lors d’une soirée déguisée en 2001, quelques heures après la publication d’une photo embarrassante qui pourrait brouiller l’image du Premier ministre sortant, à un mois des législatives.
‘C’est quelque chose que je ne considérais pas comme raciste à l’époque, mais je reconnais aujourd’hui que c’était raciste et j’en suis profondément désolé’ réagit, l’air contrit, le candidat libéral.’
Plus loin, poursuit l’AFP, ‘Les principaux adversaires de Justin Trudeau pour les législatives du 21 octobre ont immédiatement réagi, mettant en doute la personnalité profonde du Premier ministre sortant qui cultive une image d’ouverture et de tolérance.’
Mais surprise, les principaux défenseurs du Premier ministre canadien se révèlent l’état major de La Ligue des Noirs du Québec.
‘La Ligue estime que les personnes qui critiquent le chef du parti Libéral pour les images passées où on le voit en ‘brownface’ « nagent dans un bassin d’hypocrisie, car eux n’ont rien fait pour promouvoir l’intérêt de la communauté noire et culturelle. »
‘Si vous regardez son cabinet, poursuit la note de La Ligue des Noirs, vous constatez qu’il (Trudeau) a toutes sortes de gens de différentes couleurs, qu’il n’a jamais eu de problèmes avec ça. Les leaders qui critiquent M. Trudeau le font véritablement pour obtenir un avantage politique.’

Un étranger blanc qui viendrait jouer les racistes chez nous, s’il pouvait savoir combien on rit de lui il se mettrait vite à l’école de la tolérance haïtienne, unique au monde.

En tout cas, si en Haïti nous avons tant de problèmes et de tous les genres, c’est d’accord mais en voici un qui au moins n’existe pas chez nous.
Les malheurs de Justin Trudeau nous font rire en Haïti, pays où l’on s’amuse, culturellement parlant, de tout ce qui a pu exister de toute l’histoire du monde et qui puisse être considéré aujourd’hui comme choquant.


A commencer par nous-mêmes. Les Haïtiens sont un peuple noir. Et comme on sait, issu de l’esclavage. Précisons : le premier peuple à s’être libéré de l’esclavage (1er janvier 1804). Et par ses propres moyens. Dans une guerre sans merci contre les forces napoléoniennes envoyées pour maintenir l’esclavage dans la colonie française de Saint Domingue.
Première surprise, alors que le terme est considéré aux Etats-Unis, par exemple, comme une insulte (‘nigger’), nous, nous nous appelons comment ? ‘Nègres.’ Et si fiers de l’être.
C’est même notre appellation la plus tendre : Hé, ‘nèg anm’ ou ‘nègès anm, sa k pase’, comment vas-tu ?
Et tellement sans rancune, que le même terme s’applique aussi aux occidentaux de passage : ‘ak Nèg blan an mwen ta p pale la a’, je parlais au blanc tout à l’heure.
Et si l’étranger en question est aussi un noir, alors cela devient : ‘blan nwa a ki ret piro a’, l’étranger noir qui habite par ici.
Un étranger blanc qui viendrait jouer les racistes chez nous, s’il pouvait savoir combien on rit de lui il se mettrait vite à l’école de la tolérance haïtienne, unique au monde.
Voire se grimer le visage en ‘blackface’ ou brownface’, tout comme en ‘redface’ lors du carnaval traditionnel où nous passons en revue toutes les diverses civilisations qui ont fleuri sur cette île de toute l’histoire.
Ce sont les déguisements en Indiens de Caonabo ou de la reine du Xaragua, Anacaona, aux couleurs bariolées mais avoisinant avec les masques affreusement laids des chefs les plus brutaux qui ont régné dans notre pays ou ‘Chaloska’ (du général Charles Oscar) avec d’épaisses lèvres couleur rouge sang sur un visage noirci à faire peur, et justement ce sont les plus terribles masques du carnaval haïtien.
La référence moqueuse à la race noire (la nôtre svp), grosses lèvres, dents de loup et ‘zyeux’ tout droit sortis de l’enfer (‘blackface’ s’il en est), ne fait qu’amuser, sans aucun complexe. Et en même temps peur aux enfants ! Notre équivalent du Père Fouettard.
Mais il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Voire menacer de faire chuter un Premier ministre.
Nous avons trop d’autres raisons en Haïti pour cela. Et vraiment sérieuses.
Mais tout le monde en reçoit pour son grade. Comme encore le fameux Yawhey au carnaval de Jacmel, personnification du mythe du Juif errant auquel les petits garçons à la capitale mettent le feu en finale du carnaval annuel.
Cependant il s’agit non d’une invention haïtienne, mais d’une survivance de l’influence européenne sous domination catholique la plus conservatrice, qui a régné pendant longtemps sur notre pays.
Et que nous répétions sans avoir la moindre idée de son origine.
Le Juif errant est un masque aujourd’hui en voie de disparition.
Tout comme ceux imitant les homosexuels comme cela a été le cas dans nos cortèges carnavalesques pendant longtemps.
Nous courions admirer ces belles de jour dans leurs plus beaux atours et se complaisant dans mille et une extravagances, cela à chaque sortie de la bande de mardi gras Titato du Bel Air.
Mais honni soit qui mal y pense. C’est plus âgé qu’on apprendra que ce quartier était aussi un haut lieu de tradition homosexuelle (et artistique aussi).
Mais aujourd’hui la même chose serait plus risquée avec la méfiance suscitée par l’affirmation même des droits des homos de plus en plus dans le monde (LGBT : lesbiennes, gay, bisexuels, transgenres etc) et entrant en choc chez nous avec une tradition afro furieusement anti homo.
Autrement dit, la belle tolérance haïtienne a aussi ses limites.
Reste à la modernité et à l’évolution normale des êtres et des choses de nous conduire lentement vers plus de lumière.
Mais comparés à d’autres peuples, y compris les plus techniquement avancés ou en un mot les plus riches, définitivement nous ne sommes pas les plus ringards.

Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince