La presse : une espèce en voie de disparition

PORT-AU-PRINCE, 29 Avril – 3 mai, la journée de la presse est observée en Haïti.
Mais quelle presse ?

Dans le monde entier, la presse traditionnelle va mal. Sous les coups de boutoir des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Le Miami Herald cédera dans quelques jours son superbe bâtiment du centre ville de Miami, un joyau immortalisé dans des films (‘Absence of Malice’ avec Paul Newman), pour s’abriter dans un endroit bien plus modeste à Doral, en banlieue de la métropole floridienne.
Certains grands quotidiens des deux côtés de l’Atlantique ont déjà disparu.
Ou n’existent aujourd’hui que dans leur version numérique. Sur la ‘Toile’. L’Internet.
Beaucoup de ‘layoffs’ (licenciements).
Pour commencer le système des journaux possédant leur propre presse (machine à imprimer), a depuis longtemps vécu.
La profession s’est amplement décentralisée. On écrit à un endroit (rédaction). Le ‘artwork’ (mise en page) se fait à un autre endroit.
Enfin le tout est expédié à l’imprimerie proprement dite.
Mais personne ne se déplace. Tout se passe ‘on line’. Par Internet.


Et cette imprimerie peut se trouver à l’autre bout de la terre.
Ainsi le Financial Times, publié à New York, est déjà en vente six heures plus tôt à Londres.
Tout le monde sait que la télévision haïtienne va bientôt être remise en question elle aussi avec le passage à la télé numérique qu’elle doit effectuer en juin 2015.

 

 

 

La presse n’est plus sur la balle parce que la balle n’est plus dans son camp …
Mais ce n’est pas seulement la technologie, c’est la profession elle-même, celle qui nous fait vivre, qui est, disons-le, menacée.
En effet, aujourd’hui à quoi sert la presse ?
A-t-on toujours besoin de la presse ?
A-t-elle encore un rôle à jouer dans notre nouvelle civilisation ?
Oui, les changements se produisent si vite que si l’on ne fait attention, l’on ne s’aperçoit de rien, et c’est lorsque l’on est soi-même bousculé, comme les confrères du Miami Herald, que la vérité vous saute au nez.
Et alors c’est parfois trop tard.
Quel besoin en effet pour la presse quand les scoops ne sont plus annoncés par les médias mais par n’importe quel particulier sur son propre portail numérique ?
Les fameux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Linkedin) n’ont-ils pas sonné le glas des médias comme instrument d’information au sens de nouvelles, news, flashes ?
En effet, que ce soit les premières réactions du président Obama après le double attentat au marathon de Boston, ou la décision du candidat malheureux aux présidentielles du Venezuela, Henrique Capriles, de contester les résultats, d’abord ils se confient sur leur propre compte Twitter, pendant que les journalistes attendent impatiemment la traditionnelle conférence de presse.
Même le second suspect dans le double attentat de Boston qui aurait eu le temps de ‘twitter’ à des proches avant d’être rattrapé par la police.
Dès lors nous ne sommes plus une presse d’informations mais de commentaires et ceux-ci, comme le sont toujours les commentaires, plus ou moins approximatifs. Subjectifs.
La presse n’est plus sur la balle. Parce que la balle aujourd’hui n’est plus dans son camp.

Les nouvelles générations ne lisent plus, oui mais …
En conséquence, c’est une presse bavarde, par la force des choses. Risquant donc toujours de parler pour ne rien dire.
D’ailleurs les nouvelles générations ne lisent plus, trop occupées … sur les fameux réseaux sociaux où ils se renseignent sur tout indistinctement. Y compris l’actualité dans les rues de Port-au-Prince car ils sont le plus grand réseau du monde avec des bénévoles dans tous les coins. Et c’est un ami en Europe ou aux Etats-Unis qui nous avertit le premier quand il y a un pépin dans la capitale haïtienne.
A ce compte-là ne pensez-vous pas que la presse est tout à fait une espèce en voie de disparition ?

Directement du producteur au consommateur …
Revenons encore aux commentaires. Auparavant les grands médias avaient pour cela des spécialistes.
Celui-ci pour toutes questions relatives à la défense nationale, cet autre les affaires économiques et financières, ou la santé. Etc.
On cite avec respect un éditorialiste comme James Reston du New York Times.
Dans notre jeunesse on parlait de Mohamed Hassanein Heikal, l’éditorialiste de l’officieux Al-Ahram, quotidien égyptien qui expliquait au monde la politique du président Nasser.
Mais aujourd’hui, trêve de bavardage (c’est le cas de dire), chaque institution a son propre site pour expliquer ses décisions, sa politique. Pour converser directement avec le public.
Directement du producteur au consommateur.
Sans passer par la presse.
Il suffit de voir comment Wikileaks, le site qui a percé les secrets de la diplomatie américaine révélant des milliers de dépêches expédiées de toutes les ambassades des Etats-Unis de par le monde, est devenu un nom plus populaire que tous les journaux ayant jamais existé.
Outre que désormais, je le dis souvent à nos jeunes confrères : chacun pourra devenir son propre patron de presse. Grâce aux possibilités et combinaisons multiples et infinies offertes par les NTIC.

Une culture de mémoire …
Mais en Haïti, il semble nous manquer une autre chose. Le background. Plus important encore que la culture générale, une certaine forme d’appréhension du fait quotidien, de l’information brute. Une plus grande profondeur de champ. Une culture de mémoire. Au sens historique.
Or ceci existe. Oui, mais pas dans les salles de rédaction. Il existe dans le public. Dans la rue. Le chauffeur de tap tap est notre meilleur spécialiste de la problématique haïtienne.
Alors ça sert à quoi aujourd’hui la presse ?

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince