Vingt-six plaques honorifiques, des distinctions prestigieuses émanant d'institutions locales, régionales et internationales... Malgré ses cinquante années de carrière, Emmanuel Henriot dit Boulo Valcourt, « chevalier de la musique haïtienne », comme il a été décoré par l'ancien président Joseph Michel Martelly, se réinvente chaque jour.


D'une manière générale, les célébrités suscitent tant l'intérêt que l'on se demande souvent comment elles arrivent à garder ce qui, en dehors des projecteurs, représente leur moi profond. Nous avons cette chance en Haïti: il est bien plus facile de croiser au hasard d'un chemin, une personnalité emblématique sans, par la même occasion, affronter toute une panoplie de fans. Beaucoup de célébrités vivent paisiblement, dans une petite rue d'un quartier tranquille, entourées de la gentillesse de ce qui reste du bon voisinage. Sur cette liste figure sans doute Boulo Valcourt qui, sans grande cérémonie, nous a ouvert les portes de sa demeure, et par la même occasion, nous a introduits dans l'antre du musicien.

 

Ses débuts
Pour ce Capois qui a migré à Port-au-Prince depuis l'âge de trois mois, rêver d'une carrière musicale serait presque utopique : son père et sa mère, respectivement médecin et infirmière-anesthésiste, rêvaient de voir leur enfant effectuer de grandes études. La vie en a décidé autrement. La flamme de la musique s'est emparée d'Emmanuel Henriot. En effet, vers ses quinze ans, poussé par l'envie que manifestait le jeune prodige, Yves Prophète, autre Capois et ami, devant laisser Haïti, a offert au jeune Emmanuel sa première guitare. Rapidement, il s'est accaparé des notions lui permettant de devenir l'un des rares guitaristes haïtiens de l'époque. Ainsi, après avoir joué avec Pepe Bayard, l'interprète de ''La pèsonn '' fonda son premier groupe appelé « Les Copains ». Cette formation musicale aura permis de jeter un nouveau regard sur les musiciens dits populaires de l'époque, tout en conservant un certain standard, une certaine discipline. Après son succès avec « Les Copains », Boulo Valcourt a marqué de sa présence des groupes comme Ibo Combo, Caribbean Sixtet, Haitiando, etc. Il a ainsi effectué des tournées en Europe, notamment en Espagne, en Asie, en Afrique, et en Amérique.

Une vie d'artiste mouvementée
« En aucune façon, je ne veux que la musique me dépasse. C'est la raison pour laquelle, jusqu'à maintenant, je tiens quatre heures de répétitions par jour. J'apprends constamment». Boulo Valcourt croit que la musique haïtienne demeure inexploitée. C'est en ce sens qu'il soutient que si le Compas demeure une tendance intéressante, il n'en demeure pas moins que nous, Haïtiens, sommes un mélange et qu'il faut tenir compte des autres rythmes et tendances connus sur notre terroir et les exploiter. Ainsi, a-t-il toujours prôné la diversité dans l'unité. « Avec Fortuné Azor, J'ai connu les rythmes africains, le folklore ; avec des personnalités comme Réginald Polycart, je me suis mêlé à la tendance européenne ; avec certains personnages comme les Widmaier, j'ai plongé dans l'univers du Jazz ; Haitiando par exemple, m'a entrainé vers les rythmes cubains. »
Ce musicien qui, d'une porte de la cuisine de sa mère a fait un instrument de basse, a appris la musique pratiquement seul, ce qui le pousse à conseiller aux jeunes désireux d'entamer une carrière musicale d'aller plus loin. « Si j'avais su que dès le départ que j'étais musicien dans l'âme, je n'aurais pas effectué des études en électronique et aviation, je serais allé à une école de musique. De plus, pour moi, la musique brésilienne est la plus riche du monde, parce qu'elle tient compte de sa diversité, tout en recherchant la qualité, formant ainsi les principaux acteurs du secteur. »

Toujours en mouvement
Bricoleur, Boulo Valcourt répare les guitares, fabrique des bijoux, apprend à jouer à l'harmonika. Dans sa propre maison, loin du bruit, il s'isole souvent pour travailler, au grand dam de son épouse – ses nombreux chiens à ses côtés, ou tout simplement, pour élaborer différents projets pour le futur. « C'est que je ne chôme pas ! ». Il nous explique que son inspiration, il la trouve sur sa terre. Dans les tréfonds du Bas-peu-de-chose ou de tous autres lieux remplis de cette "vibration haïtienne". Débarrassé de tout complexe, il sillonne les rues, des quartiers les plus populaires aux plus huppés, y trouve l'inspiration qu'il transmet dans sa musique. Du restaurant en plein air à celui de première classe, Boulo Valcourt peut en faire une œuvre d'art. Passant de la musique à la peinture, il s'adonne également à représenter sa fascination pour la gent féminine: les femmes, il ne peint que ca, apparemment.

Son souci de la postérité
« Après tout ce que j'ai vécu, j'ai une subite envie de laisser quelque chose, de laisser ma trace à la postérité. Cela me tient réellement à cœur. Je suis un musicien chercheur et je sens que le monde attend quelque chose de nouveau. Mis à part mon dernier album « Au cœur ça fait mal/ Sa fè kè mwen mal », sorti en décembre 2016, je tiens à apporter une touche spéciale dans la musique du monde ». Je veux, par ailleurs donner un souffle nouveau à la fondation Boulo Valcourt, ce, dans une perspective beaucoup plus grande.
À 71 ans, Boulo Valcourt vit actuellement avec sa deuxième épouse qu'il appelle affectueusement Fifie. Père de cinq enfants, il s'estime fier d'avoir réussi sa vie de famille tout en assumant sa carrière professionnelle. Des projets d'avenir, il en a en grand nombre. Pourtant, il nous a laissés sur notre soif quant aux détails sur un éventuel album, fruit de sa collaboration de toujours avec le célèbre parolier et ami Syto Cavé qui a profondément marqué son oeuvre, son passage dans le groupe Carribean Sixtet et sa vie tout entière. Alors Boulo, à quand le prochain album ?

Bernie Paul