Emmanuelle Latraverse
Dimanche, 5 janvier 2020
Il était 16 h 53, quand la terre a tremblé le 12 janvier 2010.
Elle a tremblé à 3000 kilomètres du Québec. Et pourtant, nous avions tous l’impression que ce drame resterait à jamais ancré dans nos mémoires.
Nous avons collectivement fait une promesse solennelle. Reconstruire Haïti, mais en mieux.
Nous en avions fait un devoir. Tout pour donner un sens à l’inimaginable. Plus de 222 000 vies fauchées, encore davantage de blessés, d’estropiés, 1 514 885 déplacés.
De l’indignation à l’indifférence
À l’époque, j’avais été dépêchée à Port-au-Prince comme envoyée spéciale. Le courage dans l’horreur, la dignité dans la détresse de ces survivants dont j’ai raconté les histoires m’habitent toujours.
Une mobilisation internationale sans précédent promettait de reconstruire Haïti sur de nouvelles bases. Comme l’a si bien évoqué Dominique Anglade, à l’Assemblée nationale, on s’imaginait qu’Haïti pourrait enfin bâtir des quotidiens qui ressemblent à ses rêves. J’y ai cru.
Ce grand peuple qui a brisé les chaînes de l’esclavage n’avait-il pas le droit d’espérer que cette fois-ci sa résilience serait récompensée ?
Certes, côté béton, on a bien fait. Écoles, hôpitaux, routes, maisons ont été reconstruits. Mais dix ans plus tard, les défis auxquels Haïti était confrontée avant cette tragédie existent toujours. Son système politique sclérosé, la faiblesse de ses mécanismes de gouvernance, l’insécurité économique, sociale, environnementale continuent d’asservir son peuple.
Lors du 5e anniversaire du séisme, on s’en était indigné. On avait promis de faire mieux. Cette année ? Force est de constater qu’Haïti et son drame ont cessé de hanter notre imaginaire collectif.
Que s’est-il passé ?
Pourquoi ne sommes-nous plus aussi indignés de constater que 80 % de la population demeure exposée aux catastrophes naturelles ? Que 45 % de celle-ci vit avec moins de 1,25 $ par jour ?
Reconstruire en mieux ne devait-il pas donner les moyens aux Haïtiens de résoudre ces problèmes structurels ?
Déjà en janvier 2015, les débuts de cette indifférence collective se sont manifestés. À quelques jours du 5e anniversaire du séisme, l’attentat de Charlie Hebdo a mobilisé l’attention de la planète. Les grands réseaux américains avaient quitté notre hôtel de Port-au-Prince pour aller à Paris.
Depuis, les attentats du Bataclan, de Nice, du marché de Noël de Berlin, celui de la mosquée de Québec, de Manchester, du pont de Londres ont rythmé nos vies et nos peurs de l’islamisme radical.
L’insécurité de notre propre société occidentale a pris le pas sur celle de la Perle des Antilles.