Alors que la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH) achevait ses deux années d’existence, le Conseil de sécurité a exprimé ce matin son inquiétude pour l’avenir d’Haïti, qui s’apprête, après 15 années, à vivre pour la première fois sans mission de maintien de la paix.
Comme l’ont souligné la plupart des États Membres, mais aussi le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, M. Jean-Pierre Lacroix, et le représentant d’Haïti, la transition vers le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), qui entre en fonctions demain, s’effectue dans un contexte difficile, marqué par une crise multidimensionnelle qui associe l’impunité, la corruption, la violence -notamment celle des gangs- à une grave crise institutionnelle, aggravée par une situation économique et humanitaire désastreuse.
Dans un pays sans gouvernement depuis sept mois, les tâches clefs de l’exécutif, comme la conclusion d’un budget indispensable à la marche de l’État, restent dans l’impasse, a insisté Jean-Pierre Lacroix, en présentant le dernier rapport du Secrétaire général sur la MINUJUSTH.
Le Secrétaire général adjoint a évoqué un cercle vicieux par lequel l’insécurité alimente l’instabilité politique et génère une paralysie générale. Haïti continue d’avoir besoin du soutien de la communauté internationale et des Nations Unies, a-t-il constaté, assurant à cette occasion que la fin du maintien de la paix ne signifierait pas la fin des efforts de l’ONU pour honorer les droits des victimes du choléra et des atteintes sexuelles.
Les membres du Conseil ont principalement insisté sur deux urgences pour résoudre toutes les autres: la formation dans les plus brefs délais d’un nouveau Gouvernement et le renforcement de la Police nationale haïtienne pour garantir l’ordre public et institutionnel.
Outre l’impossible formation d’un gouvernement, faute de validation d’un premier ministre par le Parlement, les élections législatives prévues le 27 octobre ont été reportées sine die. Or, « les troubles politiques alimentent l’anarchie et l’insécurité », a insisté l’Afrique du Sud.
La France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Indonésie, ont appelé les responsables à engager au plus vite un dialogue inclusif, même si, comme l’a reconnu l’Union européenne, tous les efforts sont jusqu’à présent restés vains. Il est cependant de la responsabilité première du Président Jovenel Moïse d’engager ce « dialogue véritable » et ce sera aussi la priorité du Bureau intégré, a insisté la France.
« Tout État de droit nécessite un minimum de services de maintien de l’ordre, respectueux des droits de l’homme », a rappelé l’Union européenne . Or, la Police nationale haïtienne, « l’une des rares institutions stables » du pays, reste largement insuffisante avec 15 000 personnes pour 11 millions d’habitants, soit « trois fois moins qu’en Europe », alors que le niveau de violence lié aux gangs explose. L’Allemagne a d’ailleurs appelé en la matière à lutter contre l’impunité des gangs, qui ont pris le contrôle de quartiers entiers, aggravant encore le sort des populations.
Car Haïti reste confronté à une crise humanitaire qui ne cède pas, ont rappelé de nombreux intervenants - dont la Fédération de Russie, qui l’a qualifiée de « navrante »: 2,6 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et, sans aide, des milliers de personnes supplémentaires vont souffrir encore plus, a prévenu le Koweït. Déjà, 60% de la population vit sous le seuil de la pauvreté et plus de 40% n’a pas accès aux soins, a précisé la Présidente de l’ECOSOC, Mme Mona JUUL. Près de 85% des diplômés ont quitté le pays et 36% des jeunes sont au chômage, avec le risque que ce manque de perspectives peut entraîner en termes de stabilité et d’attractivité pour les organisations criminelles et de violence, a-t-elle souligné. Et pourtant Haïti reste la crise humanitaire la moins bien financée, a déploré la Pologne.
Haïti continuera d’avoir besoin d’une assistance clef, ont conclu les États-Unis, premier donateur d’aide au pays, qui ont dressé une longue liste de besoins, allant de l’organisation des élections aux droits de l’homme, la justice ou la réduction de la violence. Mais c’est le Gouvernement d’Haïti qui a la responsabilité finale du succès de la nouvelle mission qui s’ouvre avec le BINUH, ont-ils fait valoir.
C’est vrai, nous sommes encore loin de la stabilité et du développement à long terme, a reconnu le représentant d’Haïti, qui a noté que la mission de maintien de la paix fermait, après 15 ans, alors que la crise redouble face à « un peuple appauvri tout au long de son histoire ».