Émile Célestin-Mégie (1922-2018)
UN BAOBAB EST TOMBÉ
Il y a deux semaines, Mégie nous a quittés. Paisiblement, au cours d' une de ces aurores port-au-princiennes qui a longtemps caressé ses joues, il a fait son ''au revoir''. Il est parti pour son ''Marigot céleste''.
La nouvelle de son départ a vite été télescopée par les évenements du 6 au 7 juillet en Haiti, comme un feuille emportée par des bourrasques de vents.
Il a fallu attendre que la sécurité revienne sur les routes pour que sa dépouille prenne la direction du Sud'Est. Malgré tout, il n'a pas été possible de faire le trajet d'un trait. Ce qui a obligé le cortège de faire Port-au-Prince-Marigot en deux temps: la capitale-Léogane et Léogane-Marigot
Cette route, que des milliers de fois, Mégie empruntait de son vivant.
Finalement, le calme revenu Milo, a pu rejoindre son village natal. Ce contre-temps ne devait être q'un fâcheux incident de parcours, un détour de plus, comme tant d'autres qu'il connus tout le long de sa vie.
Il reposera quelque part, sur ses terres qu'il a aimées à nulle autre pareille.
Selon ses dernières volontés, il sera inhumé sur les hauteurs de Marigot, à l'endroit appelé ''Ti-fey'' où de-là, il ''contemplera'' les vagues de la Mer des Caraibes qui viennent s'écraser sur la terre ferme.
L'histoire d'Émile Célestin-Mégie avec le Sud'Est est fusionnelle . Il fut toute sa vie ''Enfant du pays'' pour avoir été l'auteur de certaines premières historiques qui marquent le département, au niveau journalistique et de l'édition.
Il a fondé le premier journal du Sud'Est, Le Petit-Marigotien (1938) et le deuxième : La Nouvelle Abeille 1939, à Jacmel. Il fut notaire à Cayes-Jacmel avant d'être ''aspiré'' par Port-au-Prince.
Là, on le retrouve à l'ONEC, qui devint ONAAC, où comme spécialiste en éducation populaire, il fait ses premiers pas dans la fonction publique haitienne. Parallàlement, il fut présentateur de films à Magic Ciné, où à ma première semaine d'arrivée, à Port-au-Prince, je l'accompagnais au ''travail''
Togiram a laissé une oeuvre pluridimentionnelle faite de romans, de poésie et de pièces de théatre et de nouvelles .
Milo est avec Franck Étienne, les deux plus illustres représentants de la créolité antillaise.
Son roman, LANMOU PA GEN BARYÈ est à côté de DÉZAFI de Franck Étienne les deux premières oeuvres représentatives de la langue créole. Mais son travail le plus laborieux, qui est malheureusement méconnu est sans nul doute ''Bouquet de Glanures''. Un travail de moine qu'il a patiemment réalisé au cours de plusieurs années, regroupant des strophes de différentes poésies dans plusieurs langues, pour former un poéme rythmé en français. Un travail qui doit, un jour ou l'autre, être débusqué et reconnu, à juste titre.
Milo, en plus de manier le violon avec dextérité, s'adonnait à d'autres arts comme la musique classique et la mise en scène.
Il fut un des fondateurs de l'hebdomadaire Le Petit Samedi-Soir. Comme coordonnateur-adjoint, il y reste jusqu'à la disparition du journal, à côté de Dieudonné Fardin.
Il est en première loge à l' arrivée de la première semence de jeunes journalistes qui ont boulversé le paysage politique haitien. Il a conduits plusieurs sur les fonts-baptismaux de la profession
Parallèlement, à toutes ses activités, il avait son hebdomadaire GINDOL qui m'a valu mon premier article, publié.
Milo ne voulant pas, que nous les jeunes, soyons pris à ''gérer'' ''des dead line'' impossibles à respecter, nous rappelait souvent le statut périodique du journal. Ainsi, il négociait la paix aux ''journalistes en herbes'' trop préssés !
Le journal sortait selon les motivations de l'équipe ou l'humeur du pouvoir, Ki gan li ri-a-yé !
C'était le seul baromètre à respecter !
Devant l'impatience de certains et l'incertitude des sorties hypothétyques, un jour, cinq de nous , avions décidé de sortir notre propre journal.
Nous voulions voler de nos propres ailes.
Le nom est déjà trouvé: '' Courrier du Sud'Est''. Reste à avoir le matériel nous permettant de produire ce journal.
À cette époque, chaque chef-lieu de département avait son hebdo. En plus de nombreuses revues qui sortent à chaque semaine à la capitale.
Rage au coeur, nous voulons crier notre état d'âme, exposer au grand jour nos revendications impénitentes
Aulieu d'être faché contre nous, Milo se met au travail pour nous satisfaire. Les Ateliers Fardin, à FONTAMARA disposait d'un vieil appareil à stencil, manuel qui devait être au musée, Togiram l'a demandé pour nous. Pour le reste, il nous conseillait d'aller à la ''Librairie Abeille'', qui était située à la place Géffrard pour le papier et l'encre.
On est prêt pour ''lancer'' notre propre journal. Mettre sur papier, ces cris de colère qui enflent nos gorges juvéniles, force d'être contenus.
Avant toute chose, on voulait savoir comment faire, à quel ministère s'adresser pour avoir l'autorisation de sortir un journal.
Encore Milo est là pour nous répondre!
''Map di-nou ti mesié'' Pou soti yon jounal nan péy-sa-a sé yon jwet chien ak chatt. W soti prémié nimero-a siw pa gen visit SD lè sa aou soti yon deziém et insi suit !
On est en juillet 1977 , six mois apès des élections législatives de février au cours desquelles Mégie a fait une tentative de participation, face à André Simon.
Orélien Jeanty, le tout-puissant ministre de l'intérieur d'alors brillait de tous ses feux.
Cette année-là, ne sachant quel diable a pris sa main pour le conduire à Marigot, à la Saint-Dominique; il a livré un discours à hautes saveurs politiques, devant une parterre de macoutes convaincus, voyant des Sandinistes partout, à éradiquer. On dirait qu'il s'adressait à nous, les jeunes pleins de hardiesse !
Après les vacances estivales, nous sommes retournés à Port-au-Prince. Le rendez-vous est pris le soir suivant chez Mégie, au numero un de la Cité Jean XXIII, aux Atelyés Zétwal.
En ''sécurité'' nous deballons nos sacs, nous disséquons la <<bête>> pour en apprendre plus sur sa force et sa faiblesse.
Milo, toujours disponible, comme un prof, est prêt à répondre à nos interrogations glannées sur les plages, les routes et les chemins de campagne.
La seule certitude c'est que les promoteurs d'un'' certain'' journal vont battre en retraite, après le discours menaçant de la Saint-Dominique.
Maurice Jeudy, comme parent qui avait plus à perdre que tout le monde, a mis tout son poids dans la balance pour nous dissuader d'aller de l'avant.
C'est ainsi qu'un journal né dans la têtes de quelques jeunes, a véçu ses élucubrations.
Toute sa vie, Milo a été une lanterne allumée dans la pénombre d'une humanité haitienne qui se cherche et qui ne desespère pas.
Frappé par la cécité depuis plus de dix ans ; cela ne l'a pas empêché de continuer ses activités . Toute son existence, il a été une source d'inspiration: pour ses contemporains, pour ma génération et pour celles qui ont suivi.
Milo fut un citoyen de la cité, au sens antiquité-grecque du terme.
Son départ est une monumentale perte pour Marigot, pour le Sud'Est, pour Haiti.
À, Jocelyne, Jasmine et Guarionnex, je présente toutes mes sympathies ainsi qu'aux amis de Marigot qui comme moi se rappellent les belles années passées à côtés de TOGI
Son grand ami Marcus Garcia est en deuil d'une très longue amitié vécue sans interruption, de '' Miroir aux Alouettes'' à ce jour.
Tu me le rappelais, en août 2014 : de tous les amis, il est le plus fidèle !
Certes, au générique de ta dernière pièce, Milo, on retiendra de grands absents. Des amis de circonstances, des collaborateurs conjoncturels. Ceux pour qui tu n'étais qu'un passager rencontré sur le quai.
Dans ton marigot céleste, aux heures perpétuelles de farniente, tu nous as devancés !
Milo a laissé une oeuvre abondante:
JOURNAUX
1-Le petit Marigotien (Hebdo, 1938-1939)
2-La nouvelle Abeille (Jacmel, 1939)
3-Espiral (Mensuel, 1960-1066)
4-GINDOL (1971- 1978)
LIVRES (Romans, Poésie, Nouvelle, Théatre, Brèves-histoires)
1-Ale-vini Mirak (Histoire, 1946)
2-Feuilles d'ortie (Poésie, 1953)
3-Coeur de silex (Poésie, 1064)
4-Faisceau Muticolore (Poésie 1963)
5-Lettre à une poétesse (Poésie 1970)
6-Byen viv (Théatre, 1976)
7-Bouquets de glanures (Poésie, 1974)
8-Serenité nan lanmou (Théatre 1968)
9-Lanmou pa gen baryè (Roman en 3 tomes, 1976)
10-Lanmou Lasigwav ( Brève histoire, 1967)
11-Kèzini (Roman, 1985)
12-Agasya (Roman 2003)
Marc Damord
Laval, Canada