L’écrivaine Yanick Lahens porte le flambeau de la francophonie au Collège de France
La Croix
Marie Verdier , le 04/07/2018 à 15h00
L’écrivaine haïtienne Yanick Lahens inaugure la nouvelle chaire « mondes francophones » du Collège de France.
Elle espère ouvrir les esprits français aux savoirs d’ailleurs et aux études post-coloniales.
Tout finit par arriver. Le Collège de France, temple du savoir et du débat d’idées depuis François 1er, terre d’accueil des grands esprits scientifiques de la planète, s’ouvre au bout de cinq siècles d’existence aux mondes francophones.
Il y avait eu une première bouffée d’oxygène avec Alain Mabanckou, lorsque l’écrivain franco-congolais occupa la chaire de création artistique en 2016. L’institution va plus loin en créant, pour trois ans, en partenariat avec l’agence universitaire de la Francophonie, une chaire « Mondes francophones ».
Yanick Lahens, l’écrivaine haïtienne de 65 ans et auteure d’une riche œuvre – dont le tout récent roman Douces déroutes et le prix Femina 2014 pour Bain de Lune (1) – en sera la première titulaire au printemps 2019, a fait savoir mercredi 4 juillet le Collège de France.
« Il est temps de décoloniser le savoir ! »
Yanick Lahens n’est pas mécontente de mettre un pied dans la porte. « Vu de France on n’imagine pas ce qui se passe ailleurs, il est temps de décoloniser le savoir ! », s’enflamme-t-elle en saluant l’innovation du Collège de France.
Elle applaudit aux « s » de mondes francophones qui attestent de l’existence de plusieurs mondes, qui permettent de décentrer la question par rapport à la France et de parler de savoirs partagés. « Ce qui n’est pas le cas, n’importe quel jeune Haïtien en sait plus sur la France qu’un agrégé ou diplômé français de l’université sur Haïti », déplore-t-elle.
Selon elle, la recherche française a fait jusqu’ici œuvre d’une extrême frilosité en n’entamant aucune réflexion sur la question post-coloniale. C’est aux États-Unis, à l’université de Duke (Caroline du Nord) qu’a été créé un laboratoire d’études haïtiennes.
Faire vivre les liens entre la France et Haïti
« Des chercheurs américains sont venus exhumer des archives françaises la littérature épistolaire inconnue de Toussaint Louverture !, regrette-t-elle en évoquant l’ancien esclave et chef de la révolution haïtienne de la fin du XVIIIe siècle. Or la France et Haïti ont une histoire et une mémoire partagée ».
Cette histoire, cette mémoire, Yanick Lahens entend les faire vibrer dans la série de cours qu’elle donnera au printemps prochain, au travers de la foisonnante littérature haïtienne, incarnation de l’histoire du pays et écho brûlant des enjeux actuels.
« Dès le XVIIIe siècle, la littérature de Haïti est une littérature de l’urgence, urgence de dire et rêve d’habiter, analyse-t-elle, comment des populations d’Afrique et d’Europe transportées peuvent-elles former une civilisation, revendiquer l’humanité qui leur avait été déniée, et qui continue à l’être ? »
Haïti, berceau de la modernité
Quelle terre plus que Haïti, berceau de la modernité, là où les Lumières ont achoppé sur les rêves d’égalité et d’universalité, incarne mieux les questions d’identité, de vulnérabilité et de mobilité ? Sur la route des cyclones comme sur celle des migrations.
« Partir ou rester ? Cette question s’est toujours posée à Haïti – et a marqué toute la littérature –, comme dans tous ces pays qui constituent la majorité du monde où il est difficile de vivre », admet-elle.
Quant à la notion d’identité, Haïti au travers de sa diaspora en casse le supposé caractère monolithique « en soulignant les doubles et triples appartenances, en montrant que la langue n’a pas qu’une seule patrie ».Restera pour la recherche française à pousser la porte entrouverte par Yanick Lahens sur les inconnues haïtiennes.
Marie Verdier