La justice suisse a statué : le peuple haïtien va récupérer 5 millions d'euros détournés par l'ex-président Duvalier, réfugié en France depuis 1986.
De 1986 à aujourd’hui, Jean Claude Duvalier a connu une veritable déchéance.
Tracé d'une banqueroute, de la Côte d'Azur à la porte de Bagnolet.

En transit en France, d'abord pour une semaine, l'ancien dictateur d'Haïti Jean-Claude Duvalier alias «Baby Doc» y séjourne depuis... vingt-trois ans, semi-clandestin dans un trois-pièces à Paris, ruiné. Entre sa prise des pleins pouvoirs à Haïti, en 1971 et sa fuite en France, en 1986, Jean-Claude Duvalier avait pillé les caisses de l'Etat. Une partie de ces fonds - plus de 7 millions de dollars américains - fut déposée sur un compte à l'Union des banques suisses (UBS) à Genève, puis confisquée en 2002, après des années de procédures. Dans un arrêt inédit du 12 août, que Libération s'est procuré (1), l'office fédéral de la justice helvète vient de décider de restituer cet argent à la République d'Haïti. «Officiellement», c'est la fondation Brouilly - créée en 1972 par Simone Duvalier, la mère de l'ancien dictateur, et basée à Vaduz, capitale du paradis fiscal du Liechtenstein , qui détient ces 7,6 millions de francs suisses (5 millions d'euros).
«Licite ou illicite ?»

La fondation a multiplié les contre-attaques pour les récupérer, en vain. Son dernier recours du 16 mars a donc été rejeté il y a un mois, au motif que la fondation n'apporte pas la preuve de l'origine licite de cet argent. C'est une première en droit, «la justice suisse a renversé la charge de la preuve», explique Louis Joinet, expert indépendant de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Haïti qui, dans son rapport de 2007, a prôné «la lutte contre l'impunité» du clan Duvalier puis a oeuvré à la restitution des fonds Duvalier : «Les fonds expatriés à Genève par Duvalier sont présumés d'origines illicites. A charge pour le contestataire de démontrer le contraire.»

Or, selon l'arrêt, la Fondation Brouilly qui réclame cet argent «s'est limitée à affirmer de façon vague que les avoirs déposés à l'UBS avaient "pour unique origine la fortune personnelle de feu Mme Simone Duvalier", sans fournir aucune autre explication à ce sujet ni alléguer une quelconque provenance licite de cette fortune». La cour considère donc que ces 7,6 millions de francs suisses proviennent d'une «organisation criminelle» vouée au pillage systématique des caisses de l'Etat et«doivent donc être rendus à la République d'Haïti qui les réclame». Haïti avait ouvert une enquête pénale sur les détournements de fonds du clan Duvalier évalués à 100 millions de dollars puis avait demandé, en mai 2008, l'entraide judiciaire, à la Suisse.
«Lynchage ou "déchoukage"»

Le tribunal fédéral décortique la façon dont «les membres du clan Duvalier ont vidé les caisses de l'Etat d'Haïti à leur profit sous le régime de la terreur prévalant durant l'ère duvaliériste, soit entre 1957 et 1986», avec la redoutable milice des «volontaires de la sécurité nationale», plus connus sous le nom de l'un de ses nervis «les tontons Macoute».

Ainsi, Jean-Claude Duvalier qui prit, en 1971, le titre de «président à vie» à l'âge de 19 ans après la mort de «Papa Doc», a-t-il à son tour utilisé les tontons Macoute pour réprimer, torturer ou exécuter les opposants, et imposer un détournement à son profit des ressources du pays. Avec sa «mafia» de complices placés à la tête des départements d'Etat et des entreprises publiques, le clan Duvalier «endossait des chéquiers établis à l'ordre de prétendues "oeuvres sociales" fictives, soit "du président à vie", soit de la "gardienne de la révolution" pour madame François Duvalier mère, ou encore aux oeuvres de charité de "madame Jean-Claude Duvalier"». Un rapport de la Banque mondiale (BM) sur le développement dans le monde, rédigé en 1997 et cité dans l'arrêt suisse, souligne que «Jean-Claude Duvalier s'est exilé en France avec un pactole évalué à 1,6 milliard de dollars».


Le tribunal fédéral suisse a demandé des «garanties» à l'actuel président haïtien, René Préval, afin que l'argent bientôt restitué ne retombe pas dans les poches de corrompus, mais serve, via des ONG, à «la population» parmi les plus miséreuses du monde. Comme en témoigne la Cité Soleil, le bidonville géant de Port-au-Prince.