Ni probablement de grands résultats sur le terrain
MIAMI, 10 Juin – Sommet des Amériques, connais pas! Posez la question aussi bien en Haïti qu’aux Etats-Unis.
A Port-au-Prince sur une quinzaine de personnes interrogées par l’agence d’informations Haïti-Standard, pas plus de 3 qui ‘étaient assez informées’, 4 avaient entendu mentionner ‘Sommet des Amériques’ mais n’étaient pas en mesure d’expliquer ce que c’est.
Pourtant jamais l’Haïtien n’avait peut-être été aussi à l’écoute de l’actualité. D’abord à cause de l’insécurité qui fait chaque jour des victimes au sein de la population. A tous les niveaux. Ce mercredi 8 juin-là, on venait d’enlever l’épouse du cinéaste Arnold Antonin (relâchée entre-temps contre rançon, selon les médias) ainsi que deux ressortissants belges.
Donc cette méconnaissance de l’événement pour lequel le chef du gouvernement haïtien Dr. Ariel Henry a voyagé aux Etats-Unis depuis le week-end précédent, ne peut s’expliquer que par un défaut de communication d’abord de la part de l’Etat, qui s’est contenté de quelques annonces lapidaires mais sans rien sur la signification réelle de l’événement, cela malgré le déplacement d’une forte délégation ministérielle ; tout comme par un traitement trop partiel (ou partial !) de l’actualité par les médias locaux.
La même semaine les grands titres concernaient particulièrement un vif désaccord entre le grand public et des défenseurs des droits humains.
Ces derniers souhaitent l’intervention de la justice contre au moins deux commissaires du gouvernement (des villes de Miragoane et Les Cayes) qui veulent flinguer tout bandit qui tombe entre leurs mains cela sans autre forme de procès (‘Se Depoze oswa Repoze’ : c’est-à-dire déposez vos armes ou bien vous mourrez !), alors que dans un mouvement de ras le bol contre le fléau du kidnapping, la grande masse est pour l’exécution immédiate de tout présumé bandit attrapé.
Au risque de commettre des erreurs judiciaires !
Pour le moment la justice officielle évite soigneusement de se prononcer.
Parmi les interlocuteurs de Haïti-Standard les plus informés sont des étudiants des universités publique et privées ainsi que les ‘discoureurs’ habituels du Champ-de-Mars, principale place publique de la capitale haïtienne et dénommée à juste titre ‘l’université du peuple’.
Selon eux, le peuple haïtien n’a pas le temps pour aucun Sommet machin ! alors que, outre l’insécurité, outre la panne générale d’électricité parfois durant plusieurs jours d’affilée, les stations d’essence sont la même semaine presque toutes fermées.
De toutes façons à part une note de presse annonçant le départ pour les Etats-Unis de la délégation officielle, le gouvernement n’a tenu aucun briefing à ce sujet.
La mode est de se référer aux déclarations sur leur compte Twitter par les officiels eux-mêmes.
La fonction de porte-parole gouvernemental n’ayant plus cours en Haïti on ne sait trop pourquoi.
Pingrerie !
Il n’y a qu’une Amérique, c’est les Etats-Unis. Pourquoi on dit, n’est-ce pas : les Etats-Unis d’Amérique ! …
Pas un mot non plus de la part de ladite communauté internationale, ce qui devrait être à cette occasion la responsabilité de l’OEA (Organisation des Etats Américains) ayant un bureau officiel en Haïti.
Cependant ne soyons pas tellement choqués puisque c’est tout à fait pareil aux Etats-Unis mêmes.
Sommet des Amériques, vous avez dit ?
Ici il n’y a qu’une Amérique, c’est les Etats-Unis. Pourquoi on dit, n’est-ce pas : les Etats-Unis d’Amérique !
Nous nous attendions cependant, alors que le président Joe Biden rejoignait à Los Angeles (Californie), le mercredi 8 juin, les autres chefs d’Etat et de gouvernement invités, à un quelconque intérêt manifesté de ce côté … mais point du tout.
Il est vrai aussi que les Etats-Unis partagent actuellement une même préoccupation avec Haïti, ce sont les ‘fusillades de masse’ (terminologie nouvelle) …
Deux de ces massacres viennent d’être commis coup sur coup, dans la ville de Buffalo (New York) où le tueur fait 10 morts, dont 8 citoyens afro-américains, puis la semaine suivante les 21 morts dans une école primaire à Uvalde, Texas, dont 19 enfants âgés de 9 à 12 ans.
Signe particulier, dans les deux cas, le criminel a 18 ans. Et les armes ont été achetées sans difficulté.
Les Etats-Unis sont sous le choc. Et il n’y a que ça sur les antennes.
Pas de chance pour le Sommet des Amériques, qui n’aura été mentionné sur aucune des grandes chaines d’informations, les CNN, MSNBC, ABC, NBC, CBS, PBS (la chaine publique) ou très peu, FOX News etc.
Ni aux émissions de grande écoute comme View dirigée par l’actrice Whoopi Goldberg.
Mais déjà l’organisation du Sommet s’est sabotée elle-même, en décidant de ne pas inviter trois Etats du continent : Venezuela, Nicaragua et Cuba sous l’accusation de ne pas être ‘des gouvernements démocratiques’- mais à cause surtout des relations de ces pays avec la Russie en fournitures d’armes et autres.
Outre celui du Mexique, absence aussi des chefs d’Etat du Guatemala, du Honduras et de la Bolivie …
Il s’ensuit une véritable levée de boucliers. C’est d’abord le président du Mexique, plus proche voisin des Etats-Unis, Andres Manuel Lopez Obrador surnommé AMLO, aussi populaire dans son pays que dans le reste du continent, qui décide en guise de protestation, de ne pas se rendre au Sommet.
Mais de fil en aiguille, voici que la décision de AMLO entraine l’adhésion des chefs d’Etat du Guatemala, du Honduras et de la Bolivie dont l’absence aussi à Los Angeles est bien sûr fort remarquée.
Mais ce n’est pas tout. Après avoir pensé faire sans doute un pied de nez au président Nicolas Maduro du Venezuela en invitant plutôt son rival, le chef de l’opposition Juan Guaido, finalement Biden se contentera, pendant qu’il est dans l’avion pour Los Angeles, d’appeler au téléphone ce dernier, tandis que Maduro de son côté se dirigeait allègrement vers Ankara où l’attend l’inévitable président turc Recep Tayyip Erdogan, devenu le principal porte-parole dans le monde pour … Vladimir Poutine.
La diplomatie américaine, constate-t-on d’une manière générale, ne peut plus prendre les mêmes libertés qu’autrefois avec ses voisins du continent. Et elle vient d’en faire l’amère expérience.
Selon le président des Etats-Unis, la défense de la démocratie va de pair avec la prospérité économique. Et c’est là que le bât blesse ...
Principal mot d’ordre de Washington et, de plus en plus, son unique argument : la défense de la Démocratie.
Dans son discours devant le Sommet, le mercredi 8 juin, Joe Biden a estimé que la démocratie ‘est un élément essentiel pour l’avenir des Amériques’ …
Cela au cours d’une cérémonie – du genre Disney World, ‘ponctuée de chansons et de messages d’enfants vantant les merveilles naturelles des pays d’Amérique latine.’
Selon le président des Etats-Unis, la défense de la démocratie va de pair avec la prospérité économique.
Et c’est là que le bât blesse.
Parce que l’autre grand sujet en débat ce sont les immigrants illégaux. Et c’est la vice-présidente Kamala Harris qui elle-même reconnait dans son intervention, que ces derniers ne laissent pas leur pays par plaisir mais parce que la vie leur est devenue impossible.
Sur ce Biden lance ce qui rappellerait aux plus âgés « l’Alliance pour le Progrès » du président John Kennedy, dans les années 1960, un programme d’aide pour l’Amérique latine, d’une durée de 10 ans et avec un budget lors de plusieurs milliards de dollars.
Le projet annoncé cette semaine a pour nom ‘Partenariat des Amériques pour la prospérité économique’ et est doté d’un budget de départ … on n’a pas encore un chiffre précis cependant Kamala Harris, qui est responsable du dossier de l’immigration illégale, avait annoncé des engagements totalisant 1,9 milliard de dollars pour la création d’emplois en Amérique centrale en vue de décourager les voyageurs illégaux.
Sauf que sous Kennedy, Washington avait moins de concurrence sur le terrain. En effet Cuba était le seul pays de tout le continent qui était passé dans le camp soviétique adverse.
Tandis que les Etats-Unis de Biden font face à la puissance économique chinoise qui lentement mais sûrement a pu convaincre la majorité des pays sud-américains de rompre les relations diplomatiques avec Taiwan, seule condition pour bénéficier des importants liens économiques avec la deuxième puissance économique de la planète.
Haïti est l’un des rares derniers pays du continent à ne pas avoir franchi ce pas, la République dominicaine voisine l’a fait.
Commentaires du principal conseiller diplomatique de la Maison blanche et à l’occasion porte-parole du gouvernement, Jake Sullivan : ‘Les Etats-Unis n’ont jamais considéré que leur avantage dans le monde consistait à lever d’immenses sommes d’argent public’.
L’objectif américain serait plutôt ‘de débloquer des montants importants de financements privés.’
Le président chinois Xi Jinping s’était rendu onze fois dans la région depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Joe Biden n’a pas visité l’Amérique latine depuis son investiture ..
Mais c’est ce qu’on appelle dans les combats d’escrime : Touché !
On lit aussi d’ailleurs : ‘Le Council of Foreign Relations a compté que le président chinois Xi Jinping s’était rendu onze fois dans la région depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Joe Biden n’a pas visité l’Amérique latine depuis son investiture en janvier 2021.’
Le président Biden a par contre accompli deux visites en Europe, la dernière en Pologne pour s’adresser au peuple ukrainien voisin et répondre à l’envahisseur russe Vladimir Poutine ; plus récemment en Corée du Sud et au Japon et il se prépare à se rendre au Moyen Orient.
Or puisque Haïti est en tête des pays d’où partent aujourd’hui, dit-on, les immigrants illégaux, aura-t-on droit à une visite de la vice-présidente Kamala Harris, responsable de ce dossier ?
Ou est-ce que avec les Haïtiens c’est inévitablement ‘back home’, retour au bercail sans poser la moindre question ?
Affaire à suivre.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 10 Juin 2022