Nouvel Axe Afrique-Caraïbe
Que devient notre Haïti ?
MIAMI, 19 Avril – Est-ce le grand rapprochement ? Pour paraphraser un mot si cher à l’extrême-droite européenne : le Grand Remplacement. Chez cette dernière c’est pour traduire sa hantise de la migration Sud Nord. Comme s’il n’y avait pas eu Christophe Colomb au 15e siècle dans un grand mouvement de migration Est-Ouest etc? Et ainsi de suite depuis la nuit des temps.
Toujours est-il que cela se met soudain à bouger entre le continent africain et la Caraïbe. Avec la Jamaïque annonçant à la couronne britannique son intention de recouvrer son indépendance plus totalement ; puis la visite officielle (11 avril 2022), toujours à la Jamaïque, du président rwandais Paul Kagame, également secrétaire général de l’UA (Union africaine).
On pourrait signaler aussi les fréquents voyages de notre très remuant ex-sénateur Moïse Jean Charles qui, à son déjà lourd carnet d’adresses (en tête le Venezuela du président ‘socialiste’ Nicolas Maduro) vient d’ajouter aussi l’Afrique. Et sûrement pas par hasard, entre autres le pays du président Paul Kagame, le Rwanda.
Comme quoi la Jamaïque est la nouvelle plateforme dans ce mouvement Est-Ouest … là où c’était, mais oui, jusqu’ici et pendant longtemps, Haïti.
En dehors d’être la Première république noire indépendante (1804), Haïti terre natale de l’un des premiers théoriciens du mouvement de revendication de la culture Nègre, le professeur Jean Price Mars (‘Ainsi parla l’Oncle’) ; la seule délégation officielle du continent américain au Premier festival des Arts Nègres au Sénégal (1966) ; le pays qui fut visité par l’empereur Hailé Sélassié d’Ethiopie (26 avril 1966) après que Haïti eut défendu l’indépendance de cette dernière envahie par l’Italie fasciste de Mussolini (1935) préludant à la 2e Guerre mondiale; la terre chantée par Aimé Césaire dans plusieurs œuvres magistrales dont ‘La Tragédie du Roi Christophe’ ; et enfin visitée aussi par le président sénégalais Léopold Cedar Senghor en 1976.
Et depuis, plus rien.
Allez le dire à notre défunt président, Jovenel Moïse (assassiné le 7 juillet dernier dans sa résidence et seul face à ses assassins), mais qui sous-estimait les sommets de la communauté caraïbe (CARICOM), orienté plutôt par ses relations politiques ou d’affaires loin de notre continent (sauf bien sûr Washington qu’il s’arrangeait pour contenter à n’importe quel prix et tant pis pour son propre pays), entrainé loin d’ici vers plutôt les riches émirats du Golfe, en quête probablement d’enrichissement plus facile et fort souvent … personnel.
Qui va à la chasse perd sa place ! Kingston a bien mijoté son coup si l’on peut dire. D’abord depuis quelques années un projet de referendum pour se distancer une fois pour toutes de la monarchie britannique, du système adopté depuis l’indépendance de l’île en 1962 dit ‘Commonwealth’ ou communauté de nations.
Aujourd’hui les choses semblent devoir s’accélérer. A la veille d’une rencontre avec le prince Harry, fils de la reine Elizabeth et prince héritier éventuel, la première ministre Portia Simpson Miller (2012-2016) déclarait qu’il est temps de couper le cordon ombilical. « La Jamaïque veut accéder à une indépendance totale » avait-elle déclaré.
Ce n’est pas une simple vue de l’esprit, comme à la manière des intellectuels haïtiens dits de belle eau mais plus Jean-de-la lune que nature …
Vu la direction que prennent actuellement les choses, la Jamaïque semble avoir si l’on peut dire bien préparé son coup.
‘Vive la solidarité des peuples noirs … » ...
Est-on en face d’un nouvel axe Afrique-Caraïbe avec le Rwanda du très vigoureux et respecté président Paul Kagamé d’un côté et de l’autre Kingston, Jamaïque. Comme dit une expression à la mode, la Jamaïque dans tous ses états !
Sauf qu’à l’heure actuelle, Port-au-Prince, l’ancien lieu de pèlerinage aux dieux tutélaires, ne semble toujours pas dans cette nouvelle disposition. C’est plutôt à Dubaï (Emirats arabes unis) qu’avait lieu le Jour national d’Haïti pendant un mois, avec la visite, le 23 mars dernier, d’une haute délégation gouvernementale comprenant les ministres des affaires étrangères, de la culture, du commerce et de l’industrie et du tourisme. En un mot on a mis tout le paquet.
Cependant soulignons que le pavillon haïtien était en place depuis plusieurs mois (septembre 2021). Donc que l’initiative n’est peut-être pas le fait des dirigeants actuels. La preuve en est le peu de publicité dont elle a été entourée, y compris localement.
C’est tout le contraire pour les entretiens entre le rwandais Paul Kagame et le premier ministre de la Jamaïque, Andrew Holmes, qui fait la une dans tout le continent. Et probablement aussi en Afrique vu le rôle de l’intervenant comme numéro 1 de l’organisation continentale l’Union africaine (UA) et qui de plus a tout de suite révolutionné cette dernière en créant un comité consultatif comprenant autant de femmes que d’hommes.
Selon le président Kagame s’adressant à son homologue jamaïcain, dans un discours qui rappellerait les mots du président Senghor débarquant en Haïti dans les années 1970, « nous sommes peut-être géographiquement éloignés mais aujourd’hui nous avons fait un autre pas important vers la construction de ponts qui nous rapprochent plus que jamais. Nous avons maintenant un cadre dans lequel nos mécanismes de fond peuvent être mis en oeuvre ». Ce que Senghor concluait par ces mots : ‘Vive la solidarité des peuples noirs … ».
Mais les temps ont encore plus évolué et solidarité qui se veut tout de suite aujourd’hui traduite en actes. Pendant que le jamaïcain parle d’investissements dans l’agriculture, l’industrie d’assemblage et l’écotourisme et les zones économiques spéciales, le président rwandais voit une collaboration plus large par le biais d’organisations telles la Communauté des Caraïbes (ou Caricom) et l’UA (Union africaine).
Paul Kagame a profité de son allocution, rapporte l’agence RHInews, « pour appeler l’Afrique et la Caraïbe à travailler plus étroitement ensemble et de manière directe et soutenue. »
Le premier ministre Andrew Holmes répond que la Jamaïque espère apprendre du Rwanda - qui justement va accueillir la prochaine réunion des chefs du gouvernement du Commonwealth, comment devenir un lieu aussi idéal pour accueillir des conférences et d’autres engagements de haut niveau.
‘Se ak blan an mwen vini’ …
Mais où se place Haïti dans tout ça ?
Doit-on continuer à répéter, comme dit le créole : ‘se ak blan an mwen vini’ ?
Beaucoup laisse à penser que nous assistons à un monde en plein bouleversement. L’actuelle guerre qui se déroule en Ukraine ne met pas seulement ce pays, soutenu par les Etats-Unis et leurs alliés européens, face à la Russie du président Vladimir Poutine, il se crée un grand remue-ménage dans la distribution des rôles joués jusqu’ici par tel et tel autre. Sur tous les continents en même temps (Asie, Afrique, Amérique du Sud etc) et non uniquement comme jusqu’ici dans le cône nord (Canada, Etats-Unis, Europe occidentale …).
Il y avait jusqu’ici une Afrique qui recherchait son salut dans les relations avec les anciens colonisateurs, tous dans l’hémisphère nord.
Et qui a confié à ces derniers aussi bien ses ressources, que son destin.
La nouvelle relation … qui se perçoit dans le discours du rwandais Paul Kagame et du PM jamaïcain, Andrew Holmes - comme disait André Malraux, ministre français de la culture assistant au premier festival des Arts nègres à Dakar : ouvre-t-elle une espérance ?
Voire une planche de salut dans ce monde en perdition que nous sentons tous venir, quel que soit le coin du monde où l’on se trouve. Chez nous en Haïti, au plus profond de nos chaumières … tout comme en diaspora.
Outre que la Jamaïque est peut-être le plus proche de nous s’il faut en croire les mots que lui adresse le chef de l’Etat rwandais : « Nous ne sommes pas étrangers l’un à l’autre. Dans notre diversité nous partageons des traits communs. Nos peuples sont résilients, créatifs et comme le montre notre histoire commune, également indestructibles. »
Mots en train de faire leur chemin. On sait que la Barbade, une autre île des Petites Antilles, vient également de rompre les amarres.
Indépendante depuis 1966, ex-possession britannique, le 15 septembre 2021, le gouverneur-général Sandra Mason a annoncé : ‘Il est temps de faire une croix sur notre passé colonial.’
La Barbade passe à la république. La Cour de justice de l’île qui siège à Londres, va être transférée à Georgetown, la capitale de … 287.000 habitants.
Quand (nous ne voulons pas être méchants), mais cela quand la Cour de justice d’Haïti, après plus de 200 ans d’indépendance, va être transportée … à Miami (Floride) pour le jugement des présumés assassins de notre président de la république Jovenel Moïse tué chez lui le 7 juillet de l’année dernière.
Cependant tous ne sont pas aussi indifférents à cette actualité Afrique-Caraïbe. C’est le cas de l’ex-sénateur haïtien Moïse Jean Charles.
Empêché récemment par l’immigration des Etats-Unis d’entrer dans ce pays, cela ne l’empêche pas de continuer d’aller où il entend.
C’est ainsi que le 26 mars dernier il annonçait (info rapportée par l’agence VBI) : « J’ai laissé le pays depuis le 23 mars. Je vais passer 8 à 9 jours en dehors d’Haïti. Nous visitons le continent pour pouvoir travailler avec à peu près 84 à 85 pays africains. »
« Nous croyons que l’appui des autres pays est important pour le développement d’Haïti », a-t-il poursuivi.
On apprenait peu après que parmi les pays visités par l’ex-candidat à la présidence d’Haïti se trouve, le Rwanda.
Moïse Jean-Charles, probable candidat aux prochaines présidentielles haïtiennes, sera-t-il un jour élu ?
Qui sait … après son malentendu avec les services d’immigration des Etats-Unis !
Mais il nous aura peut-être montré la direction.
Pour finir n’ayons pas de regret que la Jamaïque nous ait pour ainsi dire volé la vedette, je vous invite à lire à ce sujet l’ouvrage intitulé ‘From Dessalines to Duvalier’ (‘De Jean Jacques Dessalines à François Duvalier, Race, Couleur et Indépendance nationale’), de David Nicholls, traduit de l’anglais par Max Dorsinville, l’un des meilleurs ouvrages sur notre histoire nationale écrit par un prêtre (anglican), théologien et notons, universitaire caribéen.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 19 Avril 2022