PORT-AU-PRINCE, 8 Juillet – Au Moyen Age c’était les Jacqueries. Du nom d’un certain Jacques Bonhomme qui a été le premier à leur tête.
Les Jacqueries c’était des révoltes populaires qui éclataient de temps à autre, où des bandes de paysans sans terre et affamés tombaient sur villes et villages, ravageaient fermes et même monastères, mais sans aucun but politique sinon trouver à se nourrir et à soulager leurs conditions archi-misérables.
Comme dit le créole : ‘tankou malfini nan jaden pitimi.’
Les descriptions par nos reporters sur le terrain des événements qui ont bouleversé la capitale haïtienne, notamment pendant la journée du samedi écoulé (7 juillet), nous rappellent les Jacqueries médiévales.
En un mot nous avons une population dont le sort, toutes proportions gardées, n’est peut-être pas tout à fait meilleur. Oui, en plein 21e siècle.
Il semblerait que ce ne sont pas des pillards professionnels (ce sont peut-être ceux-là qui ont ouvert le chemin aux autres, avec un ordre de mission bâti longtemps à l’avance, car il y a aussi les cas de règlements de comptes entre les puissants eux-mêmes !) mais c’est un petit peuple avide de tout, parce que manquant de tout, affamé et frustré, qui a vidé les supermarchés et magasins d’articles ménagers samedi dans les centres commerciaux les plus achalandés de Delmas, Pétionville et Tabarre.
Secundo, c’est un mouvement parti à la base, qui ne se réclame (apparemment) d’aucune allégeance politique.
Alors que pendant des années l’actualité politique a été monopolisée d’un côté par les tenants du pouvoir, de l’autre par leurs opposants, de pouvoir en pouvoir, successivement, dans un éternel jeu de ping-pong, au bout du compte tout à fait stérile, jusqu’ici tous gens sur lesquels on pouvait mettre un nom et qui sont les mêmes depuis des lustres, eh bien voici, ô surprise, que les plusieurs milliers de citoyens qui sont descendus dans les rues le week-end écoulé ne se réclament d’aucune étiquette et pourtant se sont comportés dans un esprit d’ensemble. D’où le côté déroutant de l’événement pour les puissants du jour : secteurs politiques, économiques, société civile organisée etc.

 

Super manipulateurs qui finissent par tout contrôler …
A cela on peut oser plusieurs explications, les unes positives, les autres moins.
La moyenne d’âge de la population active aujourd’hui c’est 30 ans, donc qui n’a pas fait l’expérience cruelle des années de dictature duvaliériste autrement dit de l’archi-autoritarisme, mais qui a été plongée au contraire dans une fausse démocratie du chacun pour soi où les institutions disparaissent pour céder la place à de super manipulateurs qui finissent par tout contrôler : L’Etat, la fortune nationale et la haute société,
Et parmi les institutions à disparaître ainsi, la plus importante : l’autorité de l’Etat.
Pourquoi faire, puisque les puissants font leur propre sécurité : hommes, armement et munitions.
La notion même de leadership a disparu. A quoi bon, il faudrait parler plutôt d’association de malfaiteurs.
Main basse sur la ville !
Aussi quand les frustrés se manifestent, eux aussi n’ont d’autre exemple que cette même façon nue, si vous voulez incivilisée, de s’exprimer, sans considération pour le bien d’autrui, comme on le voit en ce moment.
Car l’Autorité ne peut exister sans modèle, ni leadership.

Crise à la fois conjoncturelle et structurelle …
Echec du pouvoir, des pouvoirs, des puissants du jour.
Mais aussi des générations qui ont précédé celle d’aujourd’hui.
Comme a dit un intervenant au cours d’une ligne ouverte sur Mélodie FM, à Port-au-Prince : nous faisons face à une crise à la fois conjoncturelle et structurelle.
Certes nous sommes en face d’un pouvoir dévalorisé totalement, sans direction, sans idée, sans boussole, la conduite même du président de la république le montre : donner une voiture (en vrai pas en miniature) à une fillette de 9 ans parce qu’elle a dansé, d’une manière, disons sans frustration, pour le chef de l’Etat et son épouse.
Le président Jovenel Moïse montre ainsi qu’il est un produit du système, en cela qu’il n’a pas le sens des valeurs, de la réelle dimension des actes posés dans l’exercice de ses fonctions.
Pas étonnant alors qu’il n’ait saisi la gravité d’augmenter jusqu’à 50 pour cent les prix du carburant pour une population qui n’a plus que la peau et les os.
Pas étonnant aussi que la caisse publique ait été totalement vidée à 4 mois seulement du début de l’exercice fiscal de 12 mois.
Et que, sans ressources, le pouvoir doive se tourner vers les institutions internationales d’assistance et de crédit.
Mais celles-ci exigent des gages, entre autres la cessation d’une supposée subvention à l’achat du carburant à la pompe.

Des ‘apprentis sorciers’ …
Le gouvernement accepte toutes ces conditions sans sourciller, sûr de n’avoir aucune peine à les imposer à la population. Puisque cette population (encore un mot d’un auditeur) on la croit totalement ‘zombifiée’.
Mal leur en prit avec les événements du week-end écoulé.
En tout cas soit par esprit dictatorial (mais au sens de ‘apprenti sorcier’), soit par inexpérience, voici notre président et son gouvernement qui sont pris à partie par une population qui soudain ne se réduit pas à quelques têtes chaudes et/ou manifestants professionnels, mais ce sont plusieurs dizaines de milliers de citoyens jusqu’ici inconnus des organes de renseignements du pouvoir en place, qui surgissent même en des endroits les plus insoupçonnés ou qui n’étaient visités jusqu’ici que lorsque les courtiers électoraux venaient chercher des votes au coût de 1.000 gourdes (à peine 1 dollar américain) l’unité pour élire le président de la république et les parlementaires du parti au pouvoir (Tèt kale … pour ne pas le nommer).
Mais si le pouvoir est de toute évidence à bout de souffle, l’opposition, précisons au sens traditionnel, a quant à elle disparu entièrement.
Comme quoi, aujourd’hui, la tâche est double : pour nous donner une vraie démocratie, il ne nous faudra pas seulement élire des dirigeants réellement compétents et à la hauteur de la tâche, mais aussi sélectionner aussi soigneusement que possible une opposition qui soit capable de représenter éventuellement une alternative.
La démocratie n’est de toute évidence pas une tâche facile, à commencer par l’élection de futurs gouvernants compétents et fiables, mais encore plus frustrant est l’échec de n’avoir su donner au pays une opposition qui offre serait-ce une lucarne pour nous ouvrir le chemin vers une voie de sortie du labyrinthe.
On en est là ce lundi (9 juillet). Après les turbulences d’un week-end qui menacent de durer plus longtemps qu’on ne croit.
Le pouvoir a fait le retrait de l’augmentation des coûts du carburant.
Mais quelle alternative a-t-il pour renflouer la caisse publique, sans quoi pas de support budgétaire international (quelque 150 millions de dollars, rien de plus) comme conclu avec la mission du Fonds monétaire international qu’il avait lui-même appelé à son secours ?
Ensuite, le même pouvoir qui a étalé son incompétence à tous les niveaux, peut-il encore gérer la sortie de crise ?
Cependant le peuple ne peut rester longtemps non plus dans les rues sans recréer l’ombre grimaçante qui nous a valu en 2004 le titre d’Etat voyou et l’arrivée de la mission onusienne de maintien de la paix.
Voire en 1915 une Occupation américaine de 20 ans (1915-1934) !!!

Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince