Quand Jovenel était en quête de relations avec Poutine !
MIAMI, 27 Février – Comment se sentirait en ce moment le président Jovenel Moïse, lui qui venait, juste avant son assassinat le 7 juillet (2021), d’ouvrir des relations diplomatiques avec la Russie de Vladimir Poutine.
Alors que le président Jovenel Moïse était considéré comme un chouchou de l’administration américaine et de la communauté internationales dite Core Group qui lui ont permis toutes les libertés qu’il a prises dans tous les domaines de l’action politique (renvoi sine die des élections législatives afin de pouvoir diriger par décrets ; révocation de juges en cassation qui sont constitutionnellement inamovibles ; formation d’un conseil électoral provisoire sans respecter les règlements faisant appel à la société civile ; préparation d’une nouvelle constitution sans respecter les formalités constitutionnelles et tutti quanti …), sans compter de multiples autres écarts et toujours sans que Washington ni le Core Group n’eurent à lui adresser un quelconque rappel à l’ordre …
Voici que soudainement le même président se tournait vers le pôle adverse, le russe Vladimir Poutine.
Voici ce qu’écrivait à l’époque le président Jovenel Moïse sur son compte Twitter :
« J’ai reçu, ce mercredi 2 juin (2021), les Lettres de créance accréditant Sergei Melik-Bagdasarov, en tant qu’ambassadeur de la Fédération de Russie en Haïti. Au cours des échanges, nous avons évoqué les perspectives de renforcement des relations bilatérales entre les deux pays. »
Photos à l’appui montrant la réception solennelle pour l’Ambassadeur de Poutine au palais national de Port-au-Prince.
Vu l’actualité en ce moment avec l’entrée des troupes russes en Ukraine et une nouvelle division du monde en deux camps avec l’Haïti de Jovenel Moïse bénéficiant prioritairement de la tolérance de Washington et du monde capitaliste occidental, quelle serait aujourd’hui la position du président haïtien ?
Jovenel Moïse pensait-il pouvoir gagner, comme on dit, sur les deux tableaux ?
Aucun président haïtien qui l’ait osé, aussi loin que la mémoire remonte.
On connait les difficultés (et grâce surtout aux indiscrétions par Wikileaks !) rencontrées par le président René Préval serait-ce pour faire admettre par Washington l’entrée d’Haïti dans l’Accord Petrocaribe avec le Venezuela de feu le président Hugo Chavez !
Alors cette semaine aurait-on vu Jovenel Moïse brusquement déclarer persona non grata le même ambassadeur russe Sergei Melik-Bagdasarov qu’il venait de recevoir avec tant de fierté et d’espoir … ou au contraire prendre position comme l’actuel président vénézuélien Nicolas Maduro aux côtés de Poutine ?
Qu’en pensent les ministres et collaborateurs qui ont accompagné le défunt président haïtien dans toutes ces nouvelles initiatives ?
Mais ce n’est pas fini.
Il y a aussi ce voyage de Jovenel Moïse en Turquie, peu avant son assassinat, qui participe des mêmes initiatives qu’on doit considérer aujourd’hui comme audacieuses, et même sans précédent historique de la part d’un responsable haïtien, et par un homme dont on ne savait finalement que très peu de ces véritables objectifs et ambitions.
Car s’il y a meilleure façon en effet d’approcher Poutine c’est par le président turc Recep Tayip Erdogan.
Projet ‘One voice’ qui doit servir d’espace de réflexion où les Etats bénéficiant de l’aide internationale pourront soumettre aux bailleurs de fonds des propositions, selon leurs besoins ...
Nous lisons : L’alliance entre la Russie et la Turquie s’est immortalisée lors du conflit syrien. A eux deux, et sans les Etats-Unis de Barak Obama puis de Trump (autre admirateur avoué du président russe !), ils ont imposé le cessez-le-feu en Syrie consolidant le régime du président menacé Bachar al Asad après plus d’une dizaine d’années de guerre civile ayant fait des centaines de milliers de morts.
La presse occidentale écrit : « L’annonce d’un accord de cessez-le-feu global en Syrie entre régime et rebelles, sous l’égide de la Russie et de la Turquie, est une victoire de Vladimir Poutine.
« Poutine et Erdogan s’offrent une paix retentissante. C’est un immense succès diplomatique » etc.
Mais plus loin on lit aussi : « Cet accord témoigne aussi de l’accélération des bouleversements affectant les équilibres régionaux et internationaux » etc.
Aussi notre question aujourd’hui : est-ce que tout cela avait été pris en compte par feu le président d’Haïti ? Savait-il vraiment, en un mot, où il mettait les pieds ?
Voici ce qu’il écrivait d’ailleurs sur son compte Twitter faisant un compte-rendu de son voyage en Turquie : « J’ai eu le plaisir de participer au Forum sur la diplomatie à Antalya, en Turquie. Ce forum dont le thème était axé sur la ‘Diplomatie innovante, nouvelle ère, nouvelle approche’ a été une occasion pour Haïti de développer de nouvelles coopérations avec certains pays dans le monde’ ».
Jovenel Moïse écrit qu’il a aussi rencontré le président du Kenya. « Les discussions portaient sur un possible rapprochement entre les deux pays ainsi que l’implémentation du projet ‘One voice’ qui doit servir d’espace de réflexion où les Etats bénéficiant de l’aide internationale pourront soumettre aux bailleurs de fonds des propositions, selon leurs besoins. »
Tout cela semble aujourd’hui, comme on dit, trop beau pour être vrai !
Cependant Jovenel Moïse a été assassiné peu après son retour au pays. Et personne n’a plus parlé du voyage en Turquie. Ni son chef de la diplomatie, l’ex-ministre Claude Joseph, ni ceux qui l’accompagnaient. Nous citons : son épouse Martine Moïse ; le ministre de la défense Jean Walnard Dorneval ; ni le grand conseiller à la présidence Ardouin Zéphirin ; ni le président de la Chambre de commerce du Nord-est Joseph Albert Pierre Paul, ni le président de la Chambre de commerce du Nord Steve Astrel Mathieu ... Etc.
‘Mais qu’est-il allé faire dans cette galère ?’ …
Puis aujourd’hui plus rien. Ni de la relance spectaculaire des relations diplomatiques avec la Russie de Vladimir Poutine. Ni des rencontres si prometteuses en Turquie du président Erdogan, comme on vient d’entendre, et les perspectives de relations internationales plus favorables au développement d’Haïti, notre pays comme on sait l’un des moins développés de la planète etc.
Mais plus rien non plus de la part des témoins et confidents du chef de l’Etat. Comme si tout ce monde était allé faire du tourisme comme on dit aux frais de la reine !
Ne reste donc que cette réplique d’un personnage de Molière : ‘Mais qu’est-il allé faire dans cette galère ?’
Revenons pour terminer à notre question : comment Jovenel Moïse se serait-il débrouillé aujourd’hui que la guerre a éclaté entre la Russie de Poutine qu’il cherchait à atteindre peu avant sa disparition … et les Etats-Unis qui ont non seulement favorisé son accession au trône (via son prédécesseur Michel Joseph Martelly) mais lui ont permis toutes les extravagances même les plus dangereuses pour l’avenir des libertés dans notre pays ?
En un mot, on n’en saura jamais rien.
Après son assassinat, parmi les nombreux commentaires qui ont circulé, l’un a voulu qu’il devait être soit arrêté puis exilé, soit assassiné au pied même de l’avion qui le ramenait de la Turquie.
En effet on n’en saura jamais rien puisqu’il est évident que, ‘last but not least’, le procès de l’assassinat lui-même n’aura jamais lieu.
Pas en Haïti en tout cas.
‘Secrets d’Histoire’ !
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 27 Février 2022