PORT-AU-PRINCE, 23 Juillet – Tout est venu de l’étranger : les tueurs, le financement ainsi que le ou les cerveaux. Entendez Miami, la métropole de Floride, aujourd’hui plateforme de déstabilisation pour Haïti. Comme déjà peut-être aussi pour d’autres pays du continent américain.
C’est la vraie surprise de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Même si des pièces du puzzle attendent encore d’être éclaircies, jusqu’ici on constate le peu de rôle joué par les nationaux ou ‘natif-natal’ dans le terrible événement.
Ce n’est cependant pas la première fois, historiquement. C’est aussi de Miami qu’étaient en effet partis la majorité des tentatives, cependant toutes ratées, de renversement de la dictature Duvalier. Que ce soit le débarquement des ex-officiers Pasquet-Dominique-Perpignan accompagnés de mercenaires américains (28 juillet 1958) ou celui de Bernard Sansaricq, en janvier 1982, à l’Ile de la Tortue où le journaliste et homme de théâtre Richard Brisson sera tué, elles avaient aussi leur origine toujours à Miami, la plus proche importante ville des Etats-Unis.
Cependant aucune n’avait la même résonnance serait-ce que cette fois l’objectif a été atteint et pas n’importe lequel : l’assassinat du président en exercice de la République.
Tous les chemins de l’investigation conduite autant par la police judiciaire haïtienne que par le FBI américain, Interpol et des enquêteurs colombiens aboutissent à Miami, enfin dans l’Etat de Floride où vit une communauté de quelque 300.000 immigrants haïtiens.
Dès le jour de l’assassinat (7 juillet 2021) la police nationale d’Haïti a eu des accrochages à Port-au-Prince avec des étrangers présentés comme les auteurs de l’assassinat du président. Trois de ces derniers ont perdu la vie, une dizaine d’autres sont arrêtés. Ce sont tous des Colombiens et ex-membres des forces armées de leur pays. Deux Haïtiens qui les accompagnaient sont également emprisonnés : James Solages et Joseph Vincent, mais ce sont des Américains-Haïtiens.
Puis c’est un autre Haïtien naturalisé américain qui est appréhendé. Christian Emmanuel Sanon, faux médecin, faux homme d’affaires capitaliste, faut tout, qui devait prendre la place du président tué …
Un véritable jeu de poupées russes où les têtes se mettent à émerger les unes après les autres mais toujours des étrangers, les rares haïtiens (ou moitié haïtiens !) y apparaissent comme de simples comparses.
Solages et Vincent se sont présentés comme des interprètes pour les commandos colombiens, tandis que ‘Doc Sanon’ est loin d’être le financier du coup comme s’était empressé d’annoncer le directeur général a.i. de la police nationale d’Haïti, Léon Charles.
Les premières arrestations opérées, les choses se mettent à tourner en rond ...
D’après le Miami Herald (21 juillet 2021) : Le financement de l’opération proviendrait d’une agence de prêts, Worldwide Capital, appartenant à un certain Walter Veintemilla, mais qui, dit-il, n’a fait que négocier deux prêts à un citoyen du Sud de la Floride propriétaire d’une agence de sécurité privée, CTU Security, basée à Doral, appartenant à un émigré vénézuélien Antonio ‘Tony’ Intriago.
Un second prêt était accordé à Christian Emmanuel Sanon, celui-là qui débarquait crânement à Port-au-Prince, avant d’être rejoint par la vingtaine de Colombiens, tous engagés par CTU Security et censés lui servir de sécurité personnelle.
Cependant l’objectif atteint : l’assassinat du président de la République Jovenel Moïse, et les premières arrestations opérées, eh bien on a soudain l’impression que les choses se mettent à tourner en rond. En tout cas l’investigation n’avance plus.
D’abord soupçons contre des acteurs locaux : le chef de la sécurité présidentielle, Dimitri Hérard, qui est mis en isolement mais n’est pas accusé ; puis c’est au tour du premier ministre (sortant) Claude Joseph d’être suspecté …
Mais le retour de la Première dame Martine Moïse, qui était soigné à Miami pour ses blessures reçues au moment de l’attentat du 7 juillet, vient changer la donne.
Dans ses premières déclarations elle semble reprocher l’assassinat de son mari à des membres du milieu des affaires haïtien mécontents de sa lutte contre les ‘oligarchies’ …
Le héros sans peur et sans reproche aux côtés des masses paysannes … et noires …
Puis lors des funérailles nationales, ce vendredi 23 juillet, Martine Moïse va encore plus loin dans ses accusations, décrivant le président défunt comme le héros sans peur et sans reproche aux côtés des masses paysannes … et noires, face à une minorité claire qui a toujours détenu la fortune nationale.
Cependant jusqu’ici ni les investigateurs haïtiens ni le FBI, ni Interpol, ni la très remuante cellule d’investigation colombienne (qui alimente la presse en tuyaux à longueur de journée) n’ont rien rapporté qui ait rapport avec les milieux économiques haïtiens.
Or bien entendu ce genre de déclarations à l’emporte-pièce peuvent avoir des conséquences gravissimes. Des magasins ont été pillés aussitôt au Cap Haïtien, deuxième ville du pays (dont une succursale de Valerio Canez, toute neuve et très achalandée), alors même que se déroulait la cérémonie des funérailles.
Les officiels haïtiens n’ont jamais encore adressé cette soudaine et grave dérive jusqu’ici langagière mais qui fait dangereusement son chemin, faisant semblant d’ignorer la lourde menace qu’elle fait peser sur un pays qui a déjà tant de problèmes.
Les déclarations de la Première dame ont en tout cas pour effet de libérer (potentiellement) les acteurs politiques locaux de tout soupçon à leur égard, donc retour à Miami où se concentrent tous les éléments constitutifs : la caisse noire pour l’opération avec des prêts qui étaient probablement destinés à être remboursés sur le trésor public haïtien sous une forme ou une autre après sa réussite – dès lors mettant une créance sur le pays, disons une sorte de nouvelle dette de l’indépendance ? ; très remarquable aussi l’identité des exécutants dépêchés sur le terrain, à ce propos il faut s’arrêter à un nouvel élément : une catégorie de bonshommes qui auraient eu maille à partir avec la justice américaine (pour trafic de drogue ou autres activités criminelles etc) mais qui après leur remise en liberté, deviennent des ‘indics’ pour, entre autres, la DEA (police anti-drogue) ou le FBI.
C’est le cas chez au moins un des Haitiens-Américains arrêtés à Port-au-Prince dans le cadre du complot. La DEA a répondu à la chaine CNN que bien entendu le type agissait pour son propre compte, mais bien évidente est la menace que ce genre d’amalgame représente autant pour les libertés citoyennes que pour l’existence même de l’Etat haïtien.
Haïti en liquidation, prise d’assaut par des vautours internationaux …
De surprise en surprise écoutons encore : « Le journal Noticias Caracol, dans ses colonnes du mardi 20 juillet 2021 a révélé le nom d’Arcángel Pretel connu à Miami, en Floride, sous le nom de Gabriel Perez, comme l’une des personnes derrière l’assassinat du président Jovenel Moïse.
“Pourtant ce nom n’est pas connu et ne veut rien dire pour plus d’un, en Haïti. Cet homme d’affaires activement recherché actuellement, est soupçonné comme l’une des têtes pensantes de l’assaut ayant coûté la vie au numéro 1 haïtien, Jovenel Moïse.
“Le présumé Arcángel, selon Noticias Caracol, n’est pas seulement un homme qui cherchait à faire tomber le président. Son principal objectif c’était de manipuler le pouvoir politique haïtien pour remporter des contrats estimés à plusieurs millions de dollars américains avec le gouvernement.”
Conclusion : Haïti en liquidation, prise d’assaut par des vautours internationaux, et éventuellement par le truchement de la communauté haïtienne à l’extérieur, ou du moins les mal intégrés de cette immigration. Qu’on appelle communément les ‘gratteurs’ c’est-à-dire vivant sur le dos de la communauté.
Et bien voilà.
Il faut un grand sens de l’Etat et beaucoup de patriotisme pour faire face à cette menace … pour l’existence même de notre Nation.
Et nous ne semblons pas être prêts.
Ni nos leaders, l’avoir compris.
Marcus Garcia, Haïti en Marche, 23 Juillet 2021