MEYER, 30 Septembre – Nous devinons chez l'actuel président de la république, Jovenel Moïse, une certaine forme d'autoritarisme par nature. En un mot, culturel.
C'est l'autorité quasi naturelle et sans partage du grand Don, le chef de la plantation, celui qui a reçu son pouvoir de la tradition. Une tradition non par la grâce de Dieu, comme chez les anciens rois, mais censée reposer sur l'expérience, la force de survie d'une communauté.
Y a-t-il aussi une certaine influence vodou ? Probablement.
Celui qu'on appelle Papa dans le monde paysan haïtien, voici donc le personnage que l'on perçoit dans l'expression du pouvoir par notre actuel chef de l'Etat, élu aux dernières présidentielles en décembre 2016, quand bien même l'opposition continue à maintenir que ce n'était pas des élections vraiment honnêtes.
En tout cas, tout y conjugue.
Comment le pays a sursauté en entendant les premiers mots du nouveau chef de l'Etat, annonçant que le carnaval cette année aurait lieu aux Cayes (chef-lieu du Sud du pays) et non à la capitale où cette fête populaire nationale traditionnellement se tenait : 'le président a parlé, point barre !'
Ce fameux 'point barre' qui va devenir un leitmotiv dans la bouche de l'opposition pour signaler l'aspect autoritaire de notre nouveau numéro 1, qui donc n'admet aucune objection à ses décisions : 'le président a parlé, point barre !'
Ou le pouvoir sans partage, point final.
Or n'ayant eu jusque-là aucune expérience de la chose publique (Jovenel Moïse n'ayant exercé aucune fonction publique officielle jusqu'à son élection), de tels mots de sa part c'est soit de l'arrogance ... soit une certaine conception qu'il était destiné ... à prendre la tête. Comme le Papa dans la communauté rurale traditionnelle. Le grand Don. Ou dans le vodou, le Papa Loa.
Nous pencherons pour cette seconde hypothèse, Jovenel Moïse ne nous semblant pas plus arrogant qu'un autre.


Seulement que aujourd'hui nous vivons en démocratie et que le pouvoir Papa Loa ne peut plus fonctionner tout seul ... même s'il peut ne pas être jamais trop loin puisque un important aspect de notre héritage socio-culturel national. D'où les difficultés de notre président pour se faire entendre. Voire comprendre. D'où les soupçons de dictature en puissance.
De plus, notre Papa Loa persiste et signe. Jovenel Moïse commence son mandat avec une opération baptisée Caravane du changement. Siège principal, le pays profond. Le président se sent probablement mieux ici qu'au palais national pour s'acquitter des obligations de sa charge, et peut-être même pour tenir ses rendez-vous. Comme le grand Don trônant, mais sage et bon (supposément), au fond de sa cour immense.
Mais l'exercice du pouvoir est plus complexe. Déjà le style grand Don sied mal aux moyens de communication sophistiqués qui sont aujourd'hui les nôtres. Comme le prouve en ce moment la crise autour du budget national signé par le président mais auquel s'opposent jusqu'à des secteurs qui devraient au contraire se sentir protégés par sa présence.
Du haut de son trône, même orné des gravures des saints et archanges les plus généreux du panthéon vodou, Papa ne vit pas véritablement les difficultés que traversent aujourd'hui ses serviteurs.
Le président Jovenel Moïse semble déphasé. Hors du temps. Et même hors du sujet.
Même quand il parle de restaurer le dialogue qu'il ne le conçoit qu'en monologue. Une intervention régulière, a-t-il promis, sur les ondes. 'Parler pour changer' !
Il va rencontrer les secteurs traditionnels, mais en commençant par le plus traditionnaliste, la Conférence épiscopale catholique.
Il rencontre les Maires protestant contre l'impasse faite sur les collectivités territoriales dans le nouveau budget, mais pour leur promettre des autobus. Ce ne sont pas des cadeaux qu'on lui demande. Et d'ailleurs on connait le sort de ces autobus. Les seuls qui s'en réjouissent, ce sont les concessionnaires.
Mais surtout, et c'est le plus important, l'ennui pour le président Moïse est qu'il symbolise une figure qui a longtemps été utilisée abusivement, de manière mensongère, par des prédécesseurs et non des plus admirables.
Ce n'est pas par hasard que le plus honni des dictateurs haïtiens, François Duvalier, a choisi dès le début de son règne le pseudonyme de Papa Doc.
C'est en connaissance de cause, étant donné le poids de ce terme dans la culture populaire haïtienne.
Déjà le président Alexandre Pétion (mulâtre et l'un des complices dans l'assassinat de l'Empereur Dessalines - 1806) se faisait appeler 'Papa bon cœur', histoire de gagner l'affection du peuple en majorité noir et ancien esclave.
Et même un dandy comme le général-président Paul E. Magloire (1950-1956) qui affectionnait plus que tout le titre de : 'Général Bon Papa.'
Peut-être que le principal défaut du président Jovenel Moïse est de prendre au sérieux son incarnation de nouveau grand Don et de Papa.
Alors que pour tous les autres ce n'était qu'un masque.
En tout cas, vrai dictateur ou simple méprise, le pays ne semble pas faire confiance.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince