Un mouvement sans direction ne peut qu’aggraver la situation

MIAMI, 10 Septembre – L’expression ne date pas d’aujourd’hui : ‘Fòk pèp la pran pouvwa a.’
Or s’il y a meilleur piège c’est bien celui-là : ‘Fòk pèp la pran pouvwa a.’
Car aucun peuple n’a jamais pris le pouvoir par lui-même ; c’est toujours un leadership, appelez-le : comité révolutionnaire, élite politique ou encore le guide suprême, ‘le grand timonier’ comme dans la Chine de Mao etc.
Par contre un peuple sans guide c’est exactement ce qui se passe dans les rues de Port-au-Prince et des autres grandes villes d’Haïti cette semaine : jusqu’à des écoliers qui gagnent les rues pour aller chasser leurs camarades des écoles privées de leurs classes et tout casser sans aucun compte à rendre.
Un peuple sans guide c’est (vous n’avez encore rien vu) des voisins qui s’en prennent les uns aux autres à coups de machettes sans rime ni raison, bref le peuple s’en prenant à lui-même comme dans une rage folle sans objet ni une cible définie.
Un suicide collectif !
Le seul gagnant devrait être le pouvoir contre lequel tout cela est censé se déchainer et qui voit au contraire ses forces soudain redoubler face à la débandade sans objet et sans objectif précis de la part de ceux qui exigent son départ mais qui dépensent au contraire toute leur énergie dans des exercices sans un but clairement défini, ‘Ekzèsis ponpye’ comme on disait dans notre enfance.

On ne peut pas jouer la même pièce tous les deux ans …

La politique est une affaire trop sérieuse pour être laissée à des enfants !


Sauf bien entendu par des ‘leaders’ (entre guillemets) qui n’osent pas prendre pour une raison ou une autre toutes leurs responsabilités …
Mais il y a d’autres raisons qui peuvent en être la cause. Arriver trop tard dans un monde déjà trop vieux. Le phénomène dit de fatigue. On ne peut pas jouer la même pièce tous les (au moins) deux ans. Les héros (les vrais !) sont fatigués.
Cependant il peut exister aussi des causes indépendantes de la volonté générale. Comme les ‘réseaux sociaux’ auxquels le peuple répond aujourd’hui spontanément, qui exercent un effet magique dans un pays sans une préparation adéquate. Et qui fait qu’il (le peuple) est déjà dans la rue, à tout casser, quand le comité révolutionnaire, si l’on peut dire, n’est pas encore sorti de son lit.
Etc etc.
Hélas en conclusion c’est le pays qui échappe à tout contrôle dans une débauche de folie furieuse … mais dont on a vu encore que le tout début car le pouvoir en place n’est pas non plus en mesure de trouver la solution - sinon continuer à glisser sur la vague dans un jeu de ping-pong avec une opposition qui, de son côté, change chaque jour de visage, dont aucune proposition ne vit ni ne survit plus de deux ou trois jours voire deux ou trois heures parce que n’ayant aucune prise sur le réel, le mouvement sans but et sans visage se répandant chaque jour chaque matin dans les rues du pays comme une … comme une épidémie d’un autre genre mais tout aussi mortelle.

Vive la révolution … mais dans une sorte de suicide collectif …

‘Fòk pèp la pran pouvwa a’, cela s’appelle jouer à la révolution, jouer avec notre avenir à tous, hélas jeu mortel s’il en est. Mais c’est ce qui se passe en ce moment en Haïti. Tous les jours. Ras le bol du chômage, de la misère et autres, mais vive l’école buissonnière, vive la révolution ! Mais dans une sorte de suicide collectif.
Car qui y gagne ? Probablement pas la révolution, autrement dit le pays, le peuple, vous et moi.
A part le pouvoir en place qui se renforce, devenant chaque jour plus audacieux, serait-ce en paroles - parce que lui non plus n’a pas le contrôle de la situation (n’est pas Papa Doc qui veut !) ; pour le moment les seuls gagnants semblent, oui les Gangs, les seuls qui semblent profiter de la situation pour mieux s’organiser (’G-9 et alliés et famille’), dominer le commerce des armes à feu … dont Haïti serait devenue une plaque tournante dans la Caraïbe et surtout se mettre en position, probablement aussi, de pouvoir marchander à l’avenir avec tout pouvoir généralement quelconque … dans le genre de la mafia sicilienne ou même la Havane avant Fidel Castro !
‘Fòk pèp la pran pouvwa a’ eh bien c’est ça si c’est comme ça.

Il n’y a pas de lutte politique qui vaille sans un leadership …

Evidemment ce à quoi nous assistons aussi aujourd’hui c’est le produit d’une dégénérescence, d’une situation qui n’a pas évolué mais bien au contraire.
Ce cri a en effet retenti pour la première fois après le renversement de la dictature Duvalier le 7 février 1986 après 29 ans de totalitarisme.
‘Fòk pèp la pran pouvwa a’ s’expliquait parce que le peuple avait été la principale victime.
Mais la donne politique était différente parce qu’il existait des personnalités-symbole, entendez par là des citoyens qui avaient consacré leur vie à la lutte pour le renversement du tyran.
Et que le peuple accepta aussitôt de mettre à sa tête.
Il n’y a donc pas de lutte politique qui vaille sans un leadership, sans un comité révolutionnaire même si le mot peut faire peur …
Et ce n’est pas valable seulement pour Haïti mais ce fut le cas dans la France de 1789, tout comme dans la révolution soviétique, comme dans la révolution américaine autour des George Washington et Thomas Jefferson, comme dans la Sierra Maestra avec Fidel, et comme en 1803 avec un certain Jean Jacques Dessalines.
Mais les leaders haïtiens post-Duvalier ont peut-être mal géré, trop tiré comme on dit sur la corde, jusqu’à utiliser le fameux ‘Fòk Pèp la pran Pouvwa a’ à tort et à travers et lui faire perdre sa signification réelle pour devenir une formule banale, comme un jeu d’enfant justement, mais jeux de massacre, hélas.
Que faire ?
Dessalines n’a pas hésité à faire assassiner ceux qu’il considérait comme les empêcheurs, les généraux Charles et Sanite Belair et les chefs marrons qui voulaient continuer à jouer avec le colon à ‘Lago kache’.
Tout comme Robespierre a envoyé Danton et les autres à l’échafaud pour y finir lui aussi à son tour.
Ne parlons pas de Staline …
Non ces choses-là ne se font plus aujourd’hui. Pas de cette façon. Du moins nous espérons !
Alors que faire ?
Parce que le camp du pouvoir n’a pas de solution non plus.
Ni ses alliés internationaux. Trop contents de nous prendre au mot. ‘Etranje pa mele’ n’est-ce pas.
Donc laisser Haïti continuer à disparaitre.
Mais et si nous-mêmes, on commençait au moins à y réfléchir, à poser le problème différemment.
Et Tèt ansanm !

Marcus Garcia - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince