CAMP PERRIN, 26 Février – Partout on veut avoir son carnaval. Les plus petits bourgs. Sénateurs, députés et maires n'ont qu'une préoccupation.
C'est une crise !
On peut l'interpréter de diverses façons.
Un peuple qui n'a plus d'imagination. Comme si celle-ci était directement proportionnelle aux problèmes économiques qui crèvent tous les plafonds dans notre pays avec une monnaie nationale qui s'effondre à vue d'œil par rapport au dollar américain qui est notre monnaie d'échange (près de 69 gourdes pour 1 dollar), donc bientôt à peine le quart du dollar américain en valeur.
Un coût de la vie non seulement délirant mais constamment imprévisible.
Et incorrigible tant que le pays continuera d'importer pour deux milliards de dollars et d'exporter pour 200 millions à peine.
Or dans de telles conditions ce sont des signaux négatifs qu'on constate le plus souvent partout jusqu'au fond du pays.
Pas une fièvre carnavalesque.
Et il ne s'agit pas seulement d'un phénomène de la ville, comme certains qui en profitent pour reprocher à l'Etat qu'on dépense dans le futile alors que tant d'urgences nous sautent au nez.
A entendre certains élus de localités même les plus profondes, c'est comme si leur avenir politique en dépendait.
Est-ce le beau temps qui précède la tempête, pour les uns, tandis que d'autres répéteront le dicton : le peuple qui chante et danse sa misère !
Toujours est-il qu'il n'y a pas de dirigeant politique qui ne se réjouisse quand le peuple choisit de danser au lieu de jeter des pierres. Comme ce fut le cas ces deux dernières années avec des élections constamment rejouées, ponctuées de manifestations de rues etc.


Aussi, autre interrogation : est-ce un signe de fatigue conjoncturelle. Un ras-le-bol de nos jeux politiciens qui n'ont fait qu'accélérer davantage la chute de la gourde nationale.
Ou au contraire la satisfaction que nous ayons enfin franchi l'écueil, cette passe difficile par la réalisation d'élections qui ont donné enfin au pays des dirigeants reconnus aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Par conséquent on ne sait encore quelle interprétation donner à cette soudaine envie de vivre, de danser et de s'amuser qui s'empare de notre pays. Malheureusement nous n'avons pas de sondages crédibles. Ni d'études sociologiques suffisamment d'actualité.
Cependant pourquoi le carnaval comme seule forme de manifestation ?
Pour certains le fait par chaque section communale de vouloir son propre carnaval alors que la même chose se passe à côté, est une autre manifestation de l'absence de l'Etat. Et même d'un certain éclatement du tissu national.
Chacun veut en faire à sa tête alors que autant de carnavals ce sont autant de trous dans le budget public qui n'a plus que la peau et les os.
L'Etat doit-il laisser cette nouvelle tendance s'incruster ?
Première conséquence, c'est la banalisation du carnaval qui a toujours constitué un héritage culturel important.
Mais en même temps préfère-t-on renforcer la tentation à envoyer des pierres ?
Il existe une voie médiane : c'est que l'Etat se mette en devoir d'organiser des activités culturelles plus diverses et ayant la même capacité d'enthousiasmer nos populations.
Après plusieurs années de morbide morosité et d'instabilité à tous les niveaux, le même enthousiasme qui traverse le pays (si tant est que c'est bien de cela qu'il s'agit – et non du beau temps qui précède la tempête !) pourrait être exploité, non comme instrument de propagande gouvernementale comme avant, mais pour lancer un grand mouvement de renouveau, autrement dit pour commencer par changer le visage de nos villes et mieux encore, celui de nos mornes dénudés et ... refaire la perle des Antilles. Autant que faire se peut.

Haïti en Marche, 26 Février 2017