PORT-AU-PRINCE, 25 Juillet – Pendant deux semaines deux gangs se sont battus au bidonville de Cité Soleil à Port-au-Prince. Le bilan des victimes, grimpant jour après jour dans un suspense probablement entretenu : pas moins de 300 morts. Et une population qui s’enfuit. Aux quatre vents. N’importe où. Un spectacle digne du cinéma d’horreur le plus poussé. Mais ce n’est pas du cinéma. Tout ça se passe au milieu d’une capitale d’un pays … qui n’est pas en guerre. A la rigueur cela aurait pu être, comme on l’a connu, une bataille opposant quelque gang redoutable … mais aux forces de sécurité publique, et comme aujourd’hui aux unités spécialisées de la police nationale d’Haïti.

Et c’est là que les derniers événements de Cité Soleil sortent totalement de l’ordinaire. Même quand la capitale haïtienne serait, comme il semble, totalement aussi sous l’empire des gangs.

Qui plus est les gangs qui sont passés à une nouvelle étape. A la vitesse supérieure : une guerre d’intimidation (psychologique) avec les forces de l’ordre. Comme ce malheureux policier abattu dimanche dans une église puis le corps emporté par les assassins. Pour être ensuite exhibé sur les réseaux sociaux avec les mains coupées et le chef de gang ‘Lanmò Sanjou’ en train d’insulter le cadavre. C’est destiné bien évidemment à intimider les forces policières. Mais cela peut leur donner aussi plus de volonté à accomplir leur tâche, selon la qualité de leadership qui se trouve à la tête.

Mais à Cité Soleil, plus grand bidonville de la capitale haïtienne, pendant deux semaines de combat acharné et de persécution de toutes sortes contre la population, l’Etat ne s’est point manifesté. Point du tout. Les forces de l’ordre ne sont jamais intervenues. Alors que la population (enfants, femmes, hommes) s’enfuit éperdue dans toutes les directions, même pas un communiqué, même pas une mise en garde contre les deux groupes armés.

Comme si le pays était une jungle, à l’état sauvage, c’est bien le mot. Comme s’il n’y avait aucune force publique. Aucune trace de normalité. Comme si, plus que jamais, ‘Haïti n’existe pas.’

N'est-ce pas quand même bizarre ? Pousser le bouchon trop loin ?

L’Etat aurait pu ne pas intervenir, réfléchissant à une stratégie particulière, mais attendant de prendre les belligérants au piège.

Or de toute évidence ce n’est pas le cas.

D’ailleurs qui sont les belligérants ? Et quelles sont leurs motivations ?


Ceux-ci ne prennent même pas la peine de se présenter. C’est eux aujourd’hui la force. ‘Sa k pa kontan …’ ?

On apprend vaguement qu’il s’agit d’une manifestation de la même querelle entre deux puissants gangs armés pour le contrôle du territoire de Cité Soleil.

On les appelle ‘G-9 fanmi e alye’ que commande le fameux Barbecue dont la photo est connue dans le monde entier, bref une vraie star, face au ‘G-pèp’ qui est une autre coalition de gangs.

Et ce serait une opération du G-9 contre les ambitions de G-pèp pour contrôler tout le territoire du bidonville. Parce que plus qu’un bidonville, Cité Soleil abrite beaucoup d’activités économiques, des plus normales aux plus … interlopes.

Mais si cela se passait dans un espace fermé, comme sur un ring, ou dans un cirque - on laisserait les protagonistes vider leurs querelles, mais pourquoi est-ce la population qui doit payer le prix fort ?

Pas moins de 300 morts, dont des enfants, additionnés de viols collectifs, de décapitations et toutes les violences et monstruosités possibles et … inimaginables !

Pourquoi aussi les incendies et les destructions massives accompagnant ce genre d’événements ?

Jusqu’à l’utilisation d’un engin lourd pour détruire les maisons et ensuite nettoyer le terrain afin d’empêcher le retour des habitants.

Or selon le RNDDH - une organisation de défense des droits humains - l’engin en question appartient à un organisme d’Etat.

Oh ! ce dernier, dans une note en catimini, indique que ledit ‘buldozer’ a été dérobé.
Etc.

Récapitulons. Deux violents groupes armés débarquent dans le plus grand bidonville de la capitale haïtienne. Ils se battent entre eux, c’est la version officielle. Mais c’est la population locale qui est la grande victime. Plusieurs dizaines, puis centaines de morts, dont des femmes et des enfants.

Leurs habitations sont également rasées, détruites. Comme ce qu’on a l’habitude d’appeler ailleurs : une opération terre brûlée. Toute la population est mise en fuite. Des dizaines d’enfants se retrouvent entre autres abrités dans la cour de l’Institution Saint Louis de Gonzague assez loin de là. Etc.

Cela dure un peu plus de deux semaines. Les pouvoirs publics n’en disant pas un mot. Les forces de l’ordre regardant comme on dit dans l’autre direction. Pas un communiqué, serait-ce pour mettre en garde le reste de la population.
Puis tout cela accompli, le gouvernement soudain reparait. Et c’est pour annoncer une ‘opération humanitaire’ pour les rescapés.

Tout cela ne vous parait-il pas un peu gros ? Cousu de fil blanc ?

C’est comme dit un proverbe haïtien : ‘bèt fi n kraze jaden w se lè wa p rele fèmen bayè.’

Traduisez : tout cela a l’air d’un coup monté. Bâti à l’avance.

Parce que ce genre d’événements n’est pas nouveau. On les a vus dans des pays en guerre, en guerre civile ou plus encore, en guerre révolutionnaire ; on les appelait ratonnades en Algérie ou au Vietnam, ou ailleurs (mot qui signifie : nettoyer une habitation ou un sol pour en chasser les rats) ; en réalité des opérations militaires destinées à chasser des cellules de combattants du reste d’une population.
Comme quoi le G-9 de Barbecue opérant une ‘ratonnade’ massive au sein de la population de Cité Soleil pour en chasser les éléments de ‘G-pèp’ ?

Pourquoi alors le silence total des officiels ?

Seraient-ils complices ?

Et si c’était toujours une ratonnade, sous la conduite du fameux Barbecue, commandant en chef du ‘G-9’ et qui à ce sujet n’est pas à son coup d’essai (n’est-ce pas ?) mais réalisée à bien d’autres fins : par exemple électorales (faudra finalement les faire ces élections), idéologico-politiques … ou encore à finalités économiques ou autres ?

Autrement dit, mettre une population sens dessous-dessus ; chasser les ‘mauvaises têtes’ (entre guillemets bien sûr, c’est-à-dire celles qu’on ne veut pas voir là ou en un mot les emmerdeurs) ?

Mais est-il nécessaire de faire souffrir tant d’innocents ?

Car finalement : sommes-nous un pays en guerre ?

Contre qui ? Contre quoi ?

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 25 Juillet 2022