PORT-AU-PRINCE, 16 Octobre – Le gouvernement veut se lancer dans la culture de la banane. L’objectif officiel est de lutter contre l’insécurité alimentaire. Cependant derrière cette décision soudaine se trouve un autre but presque aussi important. Une production pouvant être exportée vers le Venezuela en échange des produits pétroliers dans le cadre du programme PetroCaribe.
Le Premier ministre Laurent Lamothe, accompagné du ministre de l’Agriculture, Thomas Jacques, a rencontré récemment au Venezuela les responsables de la ZEP (Zone Economique PetroCaribe), un accord dont l’un des points autorise les pays participants à rembourser en produits naturels une partie du paiement de la dette pétrolière contractée avec le Venezuela, le premier pays exportateur du continent.
Le gouvernement haïtien voudrait pouvoir profiter de cette disposition aussi tôt que possible.
Mais Haïti est-elle un pays producteur de bananes ?


Haïti a été l’un des principaux producteurs de la Caraïbe. Mais il y a plus de 60 ans.
Les Etats-Unis (sauf la Floride), le Canada et l’Europe ne cultivent pas la banane. Mais en consomment beaucoup. Ils doivent donc l’importer.
Pour cela, les Américains avaient créé une compagnie multinationale qui achetait la banane produite partout dans le reste du continent. Son nom : la Standard Fruit.
Haïti a été l’un des principaux fournisseurs de la Standard Fruit.
Cela signifie que le sol et le climat d’Haïti sont excellents pour la culture de la banane.
Ainsi on lit dans l’ouvrage de Anthony Georges-Pierre sur l’époque du président ‘Dumarsais Estimé’ (1946-1950) : ‘L’exportation de la banane haïtienne passait de 2.000 régimes en 1930 à 1. 300.000 en 1936, et à 3.000.000 régimes en 1940 pour atteindre le chiffre record de 7.400.000 régimes en 1947.’
En peu de temps, écrit le même auteur, ‘la banane avait supplanté le coton comme second produit d’exportation parmi les denrées commerciales haïtiennes.’

Ceci dit, cela demande des investissements importants et beaucoup de discipline professionnelle.
Selon le même ouvrage, la Standard Fruit a été ‘obligée d’entreprendre des travaux d’irrigation, d’établir dans les ports des entrepôts d’achats et des facilités d’embarquement …’
Mais aussi consentir des crédits aux moyens et petits agriculteurs.

Ce sont toutes les conditions pour établir une culture de la banane dans le pays sur une échelle importante. Comme semble le vouloir le gouvernement actuel !
Mais avec d’autres handicaps qui n’existaient pas dans les années 1930.
D’abord les ravages de l’érosion. La banane pousse spécialement dans la plaine. Celle de l’Arcahaie, au nord de la capitale, Port-au-Prince, est considérée comme exemplaire.
Les flots dévalant sauvagement des montagnes dénudées entrainent la bonne terre vers la mer.
Ensuite la banane haïtienne a subi un autre ravage ces dernières décennies. Un parasite nommé ‘sigatoka’ (surtout la ‘sigatoka noire’ très difficile et très coûteuse à contrôler) et qui tue l’arbre avant que le fruit n’arrive à maturité.
Ce qui fait que Haïti ne produit aujourd’hui qu’un infime pourcentage de la banane consommée par sa population.
Ensuite la banane haïtienne est rachitique comparée à celle venue d’ailleurs. Par exemple, de chez notre voisine la République dominicaine.
Cependant la banane haïtienne est produite sans additif chimique, ce qui peut augmenter sa qualité sur un marché qui tend vers le produit naturel, bio. La fameuse valeur ajoutée.
Pour finir, la Standard Fruit n’a plus d’opérations en Haïti depuis fort longtemps.
Justement Anthony Georges-Pierre y consacre tout un chapitre parce que c’est sous le gouvernement Estimé qu’une querelle a éclaté entrainant le départ d’Haïti de la Standard Fruit au bénéfice d’exportateurs locaux mais qui n’avaient pas le bras assez long. Ainsi la banane haïtienne a perdu peu à peu de son importance sur le marché international pour finir par disparaître. Victime de l’appât du gain irraisonné - comme ce sera plus tard le cas avec le Vétiver. Et plus près de nous, le Café ‘Haitian Bleu’. Puis du désastre écologique. Et pour finir de la mondialisation économique qui envahit le pays de produits théoriquement meilleur marché que ceux produits localement.
Aujourd’hui que la ZEP (Zone économique PetroCaribe) fournit une occasion de refaire la banane haïtienne (entre autres produits locaux pouvant être exportés au Venezuela) non seulement qu’il faudrait d’importants investissements dans ce secteur mais aussi toutes sortes de stimulants pour y intéresser moyens et petits agriculteurs qui n’ont plus l’expérience de cette culture disparue depuis déjà trop longtemps. Mais aussi et surtout d’importants efforts dans la protection de l’environnement. Enfin créer une dynamique pouvant entrainer la nation entière. Bref un défi, auquel force est de se demander si nous y sommes préparés. Nous ne le croyons pas. Pas encore.

 

 

Marcus - Mélodie 103.3 FM Port-au-Prince