Sans une vraie participation populaire, l’inconnue reste totale

PORT-AU-PRINCE, 14 Janvier – Plusieurs approches en direction du 7 février 2021, date fixée par l’opposition pour le départ du pouvoir du président Jovenel Moïse tandis que celui-ci fait semblant de prendre des dispositions pour rester à son poste. Pour le moment aucune formule de compromis ne parait encore à l’horizon.

Mais l’opposition ne se présente pas sur un seul front.

Il y a la formule radicale. C’est celle du Secteur dit Démocratique et populaire.

Il y a une formule qui se dit pacifique, et représentée par un groupe d’ex-législateurs. Nom de code : ‘Tèt Ansanm’.

Mais il y a encore d’autres dispositions en train de prendre forme au fur et à mesure qu’on s’approche du 7 février fatidique.

Le Secteur démocratique et populaire est cette branche de l’opposition qui avait mené l’opération ‘Peyi lòk’ (pays fermé) en 1978 quand toutes les activités généralement quelconques (commerciales, administratives, etc), y compris avec l’extérieur, avaient été suspendues, et cela pendant au moins plusieurs semaines.

Cependant le pouvoir y survit. Grâce essentiellement à son alliance avec l’administration Trump.

Et depuis il est devenu plus coriace. C’est ainsi qu’aujourd’hui, même sans carburant dans les pompes, ni dans les centrales électriques, même en face d’un pays presque arrêté totalement dans son fonctionnement, et les routes nationales de vrais coupe-gorges, Jovenel Moïse et son groupe ne montrent aucune disposition pour plier bagages.


Le Secteur démocratique et populaire revient à l’assaut sur le même canevas : manifestations ‘sps’ (‘san pran souf’, sans reprendre son souffle) jusqu’au 7 février 2021 …

Cependant le momentum ‘peyi lòk’ n’existe plus. Le peuple semble fatigué. Il n’a plus les moyens d’une crise trop longue.

Aussi apparition d’un autre secteur, on peut utiliser le même mot secteur parce que plusieurs de ses membres sont des transfuges du premier. Ce sont pour la plupart des ex-législateurs, dont certains ont appartenu à la dernière législature, bref une brochette de sénateurs bien connus. Leurs réclamations sont similaires : départ de Jovenel Moïse le 7 février 2021 au plus tard et mise en place d’une transition.

Cependant cela sans casse. Mais ceci dit de leur part sans conviction car c’est pour se ménager à deux niveaux : d’abord national.

Le pays est déjà en mille morceaux et le peuple, désabusé par l’échec du ‘peyi lòk’, est aujourd’hui plus réticent.

Ensuite au niveau international. Malgré la chute de Donald Trump et l’arrivée à Washington d’une administration démocrate qui devrait être plus sensible au ‘cas’ d’Haïti, la violence n’est probablement pas susceptible d’être bien vue … Vu ce qui vient de se passer à Washington même lors des événements du 6 janvier au Capitole.

Cependant voici, du moins selon une rumeur, qu’une troisième approche serait en train de se mettre en place avec l’élection, le mardi 12 janvier, à la présidence du Sénat, du sénateur du Sud-est, Joseph Lambert (sénat réduit à 10 membres sur 30 puisque le président Jovenel Moïse s’est arrangé pour ne pas tenir les élections afin de pouvoir gouverner à coups de décrets dans tous les domaines et même les plus sensibles : économie, sécurité nationale, changement constitutionnel) et cela grâce à la complicité de Washington assurant aussi la sécurité personnelle du chef de l’Etat haïtien …

Toutefois le sénateur Joseph Lambert, l’auto-surnommé ‘animal politique’, sait par expérience qu’aucun changement important ne peut s’effectuer à la tête du pouvoir (y compris face aux manœuvres opérées par la bande à Jovenel Moïse) sans la participation du pouvoir législatif, or ce dernier c’est aujourd’hui lui seul puisque la Chambre des députés n’a pas été non plus renouvelée.
Or personne n’ignore que Mr. Lambert a beaucoup d’ambitions de ce côté.

Voilà.

Mais reste aussi la 4e carte, celle du président Jovenel Moïse lui-même.

Pas question de partir avant la fin de son mandat constitutionnel et que lui-même fixe au 7 février 2022. Donc il lui resterait encore une année à la tête du pays.

Mais pays, hélas, dans quel état ?

Rien ne marche. Retour des bidons jaunes ou marché noir du carburant. C’est un exemple entre mille de la gabegie totale sur laquelle débouche le régime au pouvoir depuis 2011 (PHTK) avec pour fondateur le musicien de variétés devenu président d’Haïti, Michel Martelly. Cela commence par une rareté de carburant mais qui après trois semaines et des arrivées successives de tankers (vrai ou faux !), persiste. Pour toucher tous les autres secteurs, dont celui de l’électricité. Depuis, le courant n’est plus fourni à la capitale que pendant deux ou trois heures par nuit. Ou pas du tout.

Mais les services publics même les plus ordinaires sont soudain bloqués aussi comme … la vignette-automobile. L’administration met la pression pour payer l’assurance véhicules obligatoire, l’acquittement de la patente pour les entrepreneurs, pression maximum mais pour tout reçu on n’a droit qu’à un bout de papier sans même en-tête.

Et voilà.

Outre les employés de l’Etat qui n’avaient toujours pas reçu leur salaire de décembre.

Que fait-on des revenus perçus par les impôts et les droits de douane ?

L’Etat est-il vraiment à ce point sur la paille (il est vrai que selon les économistes, le pays a connu une croissance négative de -5,7% pendant les deux années écoulées, et malgré qu’on ait été épargné en gros par l’épidémie du Coronavirus : 20.569 cas depuis le début et 238 morts) ; ou alors sont-ce les gouvernants qui prépareraient ainsi leurs fonds de pension ?

Et pourtant il y a une dernière cause à l’absence de la grande masse de militants à laquelle on se serait attendu et c’est la crainte de se faire kidnapper dès que vous sortez dans la rue, le kidnapping se révélant la meilleure arme pour bloquer la mobilisation populaire, absolument sans précédent …

Conclusion : pour le bon peuple, ce sont plutôt des jeux de politicien ce qui a lieu jusqu’à présent.
Car même face au pouvoir le plus inapte et le plus discrédité depuis la chute de Duvalier (7 février 1986), sans une voix unitaire, une stratégie crédible et un vrai leadership, le pays ne bougera pas.

Marcus Garcia, Haïti en Marche 14 Janvier 2021