Des dénonciations justes mais beaucoup de bruit pour rien

MIAMI, 6 Octobre – A quoi veut aboutir cette campagne de presse intitulée Pandora Papers puisque lorsque des pays comme le Venezuela, Cuba ou autres prennent des mesures pour empêcher la même situation dénoncée, ils sont combattus entre autres par cette même presse ?
Il y a donc là ou contradictions ou hypocrisie … ou les deux.
Prenons le cas de Mr. Gilbert Bigio qui figure aussi dans ce défilé des milliardaires de la planète.
Nous lisons : ‘L’une des personnes les plus riches en Haïti, sinon la plus riche, Gilbert Bigio, 86 ans, fait partie de la minuscule élite qui a bâti sa fortune dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère.’
S’ensuit une vue aérienne de ce que le journal appelle le palais (‘estate’ ou village entier) de Mr. Bigio à Miami.
Puis, ‘comment cette petite élite a pendant des décennies camouflé sa fortune et mis ses capitaux sous la protection de compagnies offshore (traduisez paradis fiscaux) comme autrefois les comptes en banque en Suisse’.
Ou encore ‘Bigio a pris sa retraite comme président du GB Group en 2018. On parle souvent de lui comme un milliardaire mais qui s’est enrichi dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère. C’est aussi un pays aujourd’hui détruit par des tremblements de terre, la corruption, la violence des gangs ainsi que l’horrible assassinat, en juillet dernier, du président de la république’, etc.
Plus loin ‘c’est un monsieur qui s’est toujours tenu à l’écart de la politique. Citant l’ex-ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, Pamela White qui dit : quand j’étais en Haïti (2012-2015), ce n’était pas un ‘big shot’ ou quelqu’un dont on parle.
Erreur. Gilbert Bigio était déjà connu dans les années 1960, à l’arrivée au pouvoir de François ‘Papa Doc’ Duvalier, en 1957, dans le centre commercial de Port-au-Prince comme le principal vendeur en bijoux de qualité sous l’enseigne de ‘Versailles Bigio Frères.’


Ils étaient en effet trois frères, mais Gilbert est le seul apparemment qui vit encore aujourd’hui.
Très discret sous le règne du Papa (1957-1971), c’est sous Baby Doc que Gilbert Bigio, probablement, gagna son premier million.
Obtenant du gouvernement une licence pour la fabrication exclusive de l’acier.
C’est la naissance de l’Aciérie d’Haïti, une petite révolution car dès lors le pays n’a plus besoin d’importer de l’acier pour la construction.
Mais avant longtemps on apprend que l’Aciérie importe aussi de l’acier, mais toujours si l’on peut dire en exclusivité.
On découvre alors comment on devient un multimillionnaire. En détenant en même temps, mais par la volonté du prince (pardon du dictateur), le droit exclusif à la fois de fabrication et en même temps d’importation parce que avec les deux en poche, on défie tout autre compétiteur.
En même temps Gilbert Bigio passe pour un patron qui prend bien soin de ses employés. L’Aciérie d’Haïti n’est pas seulement une entreprise c’est une véritable armée. Au service d’un seul homme. Jamais il n’y a eu de ‘dechoukaj’ par ici à la fin de la dictature le 7 février 1986.
Pourtant, et ce n’est un secret pour personne, Bigio sait bien traiter aussi son bienfaiteur. Il offre au président Jean Claude Duvalier une villa perdue dans la montagne au-dessus de la capitale, c’est ‘Ti-Rocher.’
Donc la grande presse occidentale se trompe complètement en disant que Mr. Bigio n’a pas d’affiliation politique.
Bien au contraire, car le prochain gros coup, du moins à notre connaissance c’est lorsque les compagnies américaines refusent de raffiner et d’assurer la distribution de la gazoline Petrocaribe.
En 2006, René Préval prête serment pour un second mandat à la présidence, et comme cadeau d’inauguration il reçoit du président du Venezuela Hugo Chavez le contrat Petrocaribe par lequel Haïti recevra du Venezuela de la gazoline avec toutes sortes d’avantages : meilleurs tarifs et prêts à long terme et au taux d’intérêt le plus avantageux possible et imaginable.
Sauf que les compagnies américaines qui ont depuis toujours desservi Haïti (Esso, Texaco …), s’y opposent.
Gilbert Bigio saisit l’occasion. Le voici qui investit aussi dans le commerce de pétrole en Haïti. Il arrive à débloquer la situation.
Prochaine étape : le Port Lafito ; notez, autre investissement en infrastructures. Le président Michel Martelly qui assiste à l’inauguration, lui a-t-il permis de profiter de la manne Petrocaribe (fonds économisés sur la vente du pétrole vénézuélien et dont une importante partie aurait été quasiment galvaudée) ? Mais ce dont on peut être certain, le bonhomme est fort. Il sait bien se protéger. Et protéger son royaume. N’est-il d’ailleurs pas le seul survivant de cette époque ? Que ce soit les Brandt, les Mews, les Dadeski, toutes ces grandes enseignes qui ont marqué la dictature (1957-1986), n’ont presque plus aujourd’hui pignon sur rue.

A aucun moment on ne voit de reproches concernant les investissements faits par les mêmes ici aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde capitaliste occidental. Or avec les mêmes milliards. Et gagnés de la même façon ! …

Mais revenons à la question. Que veut prouver la grande presse, précisons occidentale, dans cette série qui fait défiler les milliardaires et multimilliardaires comme Mr. Bigio auxquels on reproche d’avoir placé leur fortune à l’extérieur (via les paradis fiscaux) donc de n’en avoir point fait profiter les pays où ils l’ont gagnée. Voire quand il s’agit du pays le plus pauvre de l’hémisphère …
Or c’est pour dépenser où leur fortune ?
Mais aux Etats-Unis, bien sûr !
Pleins feux sur le palais floridien de la famille Bigio et leurs multiples domaines dans les quartiers les plus huppés, comme Aventura etc.
Le seul reproche c’est d’avoir gagné tout ça dans l’un des pays les plus pauvres de la planète … mais après ? ‘Epi epi anyen.’ A aucun moment on ne voit de reproches concernant les investissements faits par les mêmes ici aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde capitaliste occidental. Et avec les mêmes milliards. Et gagnés de la même façon !
On ne voit nulle part recommander pour que soit retourné aux pays en question ce qui leur a été dérobé par toutes sortes de combines des plus ingénieuses.
Puisque cette presse est aussi forte pour s’attaquer à aussi forte partie, et avec des intentions aussi généreuses, faut-il bien qu’il en sorte quelque chose de positif, d’encourageant ? On ne voit pas.
Finalement quelle différence avec les longs reportages au temps jadis d’un Paris Match, grand hebdomadaire en couleurs, sur les frasques des cours royales européennes. Ou aux Etats-Unis ce qu’on appelle la ‘press-people’ : ‘The rich and the famous’ !
Avec servant de piment, oui pour faire passer la sauce, le rappel constant d’Haït pays le plus pauvre. Mais rien de plus.

Apportez tout ce qu’il y a de bon chez vous, chez nous. Mais uniquement chez nous ! …

Car justement Haïti n’est pas un cas unique. Des cas similaires existent, par exemple le Venezuela. Justement on nous dit concernant le paiement des taxes, que si Haïti arrive à taxer seulement 13 pour cent des revenus rapportés dans son économie, à la différence des Etats-Unis (24,5%), par contre le Venezuela tombe encore plus bas.
Or voici un gouvernement Maduro du Venezuela qui agit contre cet état de choses. Mettant en fuite ses milliardaires. Cependant pour transporter leurs milliards où ? A Miami, bien évidemment.
Mais la même grande presse n’en dit pas un mot.
Tout comme c’est au président Vladimir Poutine qu’on s’en prend quand celui-ci poursuit les oligarques russes qui transportent leurs milliards où ? A Miami Beach.
Pour citer un vieux proverbe haïtien : apportez tout ce qu’il y a de bon chez vous, chez nous. Mais uniquement chez nous !
Est-ce qu’on souhaiterait que les Bigio et Co., ramassent aussi toutes leurs affaires en Haïti … mais tant que c’est pour les transporter à Miami, que cela ne dérangerait personne.
Parce que conclusion : Pandora Papers ou pas, c’est toujours un seul et même système.

Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince