Un conseil électoral qui remplace les 3 pouvoirs

PORT-AU-PRINCE, 3 Août – Les législatives auront lieu dimanche prochain 9 Août.
Le Conseil électoral se déclare sûr de gagner cette première partie de son pari. Le prochain rendez-vous sera le 25 octobre prochain.
Mais à quel prix !
La semaine dernière, sortant d'une interview sur une radio de la capitale, un candidat à la députation pour la commune de Kenscof (hauteurs dominant la capitale) a été appréhendé par la police anti-drogue.
Il aurait été relâché deux jours plus tard. A-t-il toujours droit à participer aux législatives de dimanche prochain ?
Ces élections ont créé une nouvelle forme de conseil électoral.

Un CEP remplaçant les trois pouvoirs ...
En effet, dans un pays aujourd'hui sans aucune institution fonctionnant de façon régulière, disons sans aucune forme d'autorité ni de crédibilité de l'Etat, dans une conjoncture d'anarchie institutionnelle (pour ne pas dire institutionnalisée – à voir le comportement du chef de l'Etat dans cette conjoncture électorale où il n'hésite pas à sacrifier le prestige national à ses intérêts partisans), qui ne tient que par la rage des autorités de s'accrocher à leur poste et celle de leurs opposants pour les en déloger de quelque manière que ce soit, comment tenir des élections ayant même un semblant de normalité sans multiplier les rôles de l'organisme électoral.
C'est ainsi que nous aboutissons en 2015 à un conseil électoral provisoire (CEP) qui doit remplacer à la fois les trois pouvoirs constitutionnels : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Et plus encore.
C'est l'une des façons sinon la meilleure pour résumer la conjoncture que nous vivons à l'occasion de cette année électorale tout-à-fait pas comme les autres.
En d'autres temps, comme en 1957 lors des élections qui amèneront le futur Papa Doc au pouvoir, ce sont les forces armées qui avaient joué ce rôle.


Cela voudrait-il dire que les élections de 2015 ressembleront dans leurs résultats à celles de 1957, bien entendu que ce n'est pas ici notre intention.

Décharge : les innocents paient pour les coupables ...
D'abord un conseil électoral pris pour le législatif.
Rien n'est plus évident que dans le Décret électoral ! Plein d'inattendus et d'à peu près sinon pis, à cause justement qu'il ait été décrété par le chef de l'Etat et non voté par les chambres vu que ces dernières, conséquence d'un interminable bras de fer avec l'exécutif, soient parvenues en fin de mandat avant les élections pour leur renouvellement.


D'où spécialement le cafouillage autour de la question de décharge. C'est le sénat qui attribue officiellement cette dernière aux anciens fonctionnaires qui ont bien géré les deniers publics. Point de sénat, donc point de décharge, décide le CEP. Les innocents paient pour les coupables.
Même quand la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, qui fait l'évaluation technique pour son attribution, intervient que son opinion ne compte guère.
C'est peut-être une première tache importante sur ces élections dont seul l'avenir dira jusqu'à quel point.

Pierre Louis Opont convié à Washington ...
Passons à l'exécutif. Celui-ci est bien existant mais en raison du soupçon pesant sur le président Michel Martelly qu'il aurait attendu le départ inopportun du parlement afin de pouvoir diriger par décrets, une bonne partie des pouvoirs et attributions à lui conférés ont été confiés, mine de rien, à l'organisme électoral.
Récemment c'est le président du conseil électoral, Mr Pierre Louis Opont, qui était convié à Washington mais ni le président, ni le premier ministre Evans Paul alors que celui-ci se trouvait la porte à côté, à une réunion au siège de l'ONU à New York avec les pays 'amis' d'Haïti planchant sur le budget électoral.

Le maintien de l'ordre ...
Au fur et à mesure voici les conseillers électoraux, simples citoyens choisis par 9 secteurs de la société, chargés de la fonction essentielle du pouvoir exécutif : le maintien de l'ordre.
Dans un de ces derniers communiqués, menaçant d'utiliser le Décret électoral contre tout candidat ou parti qui se rendrait coupable de violences.
On attend encore voir. En tout cas, la police et l'organisme électoral semblent fonctionner main dans la main.
Nous vous avons déjà fait remarquer aussi que lors d'une récente audition devant une sous-commission sénatoriale présidée par le sénateur Républicain Marco Rubio (Floride), le coordonnateur spécial du Département d'Etat pour Haïti, Mr Thomas Adams, a placé le conseil électoral en tête de la liste des partenaires de Washington dans le contexte actuel en Haïti : CEP, ONU, OEA et Gouvernement haïtien.
Cela dit bien ce que cela veut dire.

Ne craignant ni Dieu ni Diable ...
Quant à la substitution au pouvoir judiciaire, cela va de soi étant donné que ce dernier est depuis toujours inexistant.
Fort de ces pouvoirs, ne craignant ni Dieu ni Diable, du moins localement parlant, le conseil électoral a plus de chances de parvenir au bout de sa mission.
Mais pouvoirs signifie aussi contraintes. Est-ce que le résultat obtenu dans de pareilles conditions tiendra ? Que faudrait-il aussi prévoir dès maintenant pour en assurer la continuité et l'application une fois terminé le mandat du conseil électoral. Provisoire, soulignons. That is the question !

Haïti en Marche, 3 Août 2015