MEYER, 8 Août – A la capitale comme en province, à la ville comme à la cour, des bandes carnavalesques sillonnent les rues et routes du pays. C'est la campagne des élections 2015.
Fini le temps des messages soigneusement calculés et longues démonstrations voulant faire la preuve d'une alternative viable aux politiques en place, la campagne électorale aujourd'hui ce sont les 3 T : tambours, trompettes ... et tafia.
Les rues de Port-de-Prince et aussi de Pétionville (banlieue plus aisée) sont du coup transformées en bastringue ambulant. Et la campagne leur fait écho.
Mais la foule n'est pas comme au carnaval traditionnel ni au 'raras' (carnaval rural) où la majorité des participants appartient aux classes populaires, des petits bourgeois descendent aussi sur le macadam pour faire la promotion de leurs candidats. C'est normalement eux les organisateurs.

Pantalon au bas des fesses ...
Alors que l'actualité est dominée par la conduite jugée scandaleuse du président de la République, Michel Martelly, qui lors d'une prestation publique pour accompagner les candidats aux législatives de son parti (PHTK – Parti Haïtien Tèt Kale) a utilisé les termes les plus vulgaires pour répondre à une dame questionnant sa gestion dans la commune (en l'occurrence Miragoane, dans les Nippes, Sud) à la grande joie de son public composé presque en majorité de Teenagers mâles à pantalon au bas des fesses et plus réceptifs à ce genre de discours à relent macho.
Mais le président ne fait que suivre la tendance générale : c'est toute la campagne électorale qui vole aussi bas. C'est la banalisation la plus totale du fait politique. Sauf que le pouvoir en place ne pense qu'à en tirer parti (et il ne s'en cache pas, d'où les faits scandaleux survenus à Miragoane !) au lieu d'essayer d'améliorer la situation, de ralentir la dégradation.

Bidonvilisation devenue une manière d'être ...
Certains diront que c'est une conséquence normale de la présence au palais présidentiel d'un Michel Martelly qui n'a pour tout mérite que ses prouesses de travesti lors du carnaval populaire de Port-au-Prince.
Cependant le fait d'en faire usage de manière aussi systématique ne signifie pas que c'est Martelly qui a créé le phénomène.
Jusqu'ici la bidonvilisation était physique, se traduisait par la généralisation des quartiers misérables dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et des plus grandes villes du pays.
Mais après le choc du séisme du 12 janvier 2010 (environ 250.000 morts), la bidonvilisation est devenue une manière d'être et de penser toutes nos activités. Pour commencer la politique, dans un pays où celle-ci ne peut plus se donner d'objectifs précis, ne disposant plus d'aucun moyen : le pays est totalement ruiné et les bailleurs en profitent pour nous tenir davantage sous le joug.
Bidonvilisation sociale, économique et aujourd'hui aussi dans la pensée, mais surtout désormais aussi instrumentalisée par des experts en marketing politique ...
On les croit en action particulièrement dans les pays du Moyen Orient soumis à des catastrophes politiques d'envergure (Syrie, Libye, Yemen et autres) ...

Les 'comités de quartier' ...
Or un de leurs champs d'expérience c'est aussi Haïti. Ou comment arriver à une même désintégration mais sans kamikazes ni missiles sol air.
Car les gros mots de Michel Martelly n'ont pas toujours appartenu aux jeunes des bidonvilles.
En tout cas pas en 1986, année de la chute des Duvalier, où les quartiers populaires de Port-au-Prince (tout comme ceux du Cap-Haïtien, des Cayes, Gonaïves ou de Jérémie) abritaient ce qu'on appelait les 'comités de quartier' qui n'avaient pour passion que l'alphabétisation des masses ('Mission alpha') mais aussi l'identité nationale sous toutes les formes.
Cette forme de révolution interne, quoique pacifique, n'a pas plus aux grands de ce monde, qui ont fait alliance avec certaines puissances locales, pour la torpiller.
Coups d'état, embargo qui a fait voler en éclats la petite industrie locale et les quelques milliers d'emplois restants, éclatement de la jeunesse entre étudiants d'un côté, masses populaires de l'autre, récupération de la presse locale par un mélange de stimulants matériels et de cours sur la démocratie, etc., rien ne nous aura été épargné.
Aujourd'hui encore des officines de la réaction internationale organisent (sous notre nez) des séminaires pour journalistes dans la couverture électorale, alors qu'il existe dans le pays de nombreuses associations de presse. Etc.

Aristide 2e mandat ...
Cependant Michel Martelly, s'il ne l'a pas inventé, aura joué un rôle charnière dans ce processus de bidonvilisation radicale de la vie politique haïtienne.
D'abord le choix qui a été fait (par qui de droit) de ce chanteur local, connu surtout pour ce que nous appelons en Haïti sa 'bouche sale', pour accélérer ou encore stabiliser cette sorte de pourrissement généralisé.
Bien sûr le phénomène en question a démarré sous Aristide 2e mandat (2001-2004). Par aveuglement et un goût immodéré du pouvoir (y compris personnel ... ou plutôt messianique !), le président Jean-Bertrand Aristide s'est jeté la tête première dans le panneau. Pour se faire une nouvelle fois éjecter avant la fin de son mandat.
Cependant l'entrée en jeu de la communauté internationale (sous la forme d'une mission onusienne pour la stabilisation du pays forte de plus d'une dizaine de milliers de militaires et policiers de diverses nations), loin de corriger la situation, n'a fait au contraire que la récupérer, le 'chimère' aristidien est devenu le soldat d'une nouvelle armée invisible.

Chaos contrôlé ...
Pour nous conduire au chaos contrôlé qui a servi, en 2011, à porter à la présidence du pays Michel Joseph Martelly, un chanteur de série B, et aux dernières nouvelles, chaos qui aurait été financé avec l'argent public américain (voir Al Jazeera, 15 Juillet 2015, 'USAID funded group supporting Haitian president in 2010' ; des documents obtenus à travers le Freedom of Information Act révèlent que le Gouvernement Américain a fourni près de 100.000 dollars au MTK – Mouvement Tèt Kale, à travers l'USAID. Entre parenthèses, ce genre de support unilatéral est interdit par les lois américaines).
Martelly a pour mission d'imprégner aux masses populaires des manières d'être d'abord propres aux petits-bourgeois haïtiens (supériorité mâle, approche superficielle et gros mots pleins la bouche) qui ont fait la popularité de la musique de son double musical Sweet Micky caractérisée par une allure décontractée et faussement candide (dont l'un de ses succès 'I don't give a s ... ') et aussi son caractère prétendument apolitique ('viv lavi ou') tout en étant au contraire profondément idéologique (histoire d'éradiquer une fois pour toutes l'esprit des 'comités de quartier' de 1986) ...
Et jusqu'à présent cela semble marcher. A preuve, la campagne électorale actuelle.
Comme quoi : pouvoir et opposition, même combat !
Essayez de vous opposer au courant. Pour l'instant, vos chances paraissent minces ! D'ici au 29 octobre pour les présidentielles.

Haïti en Marche, 8 Août 2015