Des emplois et non des balles

PORT-AU-PRINCE, 23 Août – Un officiel du gouvernement qui a pour particularité de souvent ne pas mâcher ses mots, commentait récemment lors d'une rencontre avec les patrons de presse : la Minustah est en train de faire ses bagages ; pour certaines raisons propres à eux les Etats-Unis ne sont pas intéressés à une nouvelle occupation, que nous reste-t-il alors à nous Haïtiens sinon de prendre nos responsabilités, de trouver une entente entre nous pour sauver notre pays, d'abord arrêter cette division entre fils d'une même patrie qui nous détruit. Sinon la seule issue, c'est la guerre civile ...
Sauf que, pensons-nous, les Haïtiens ne sont disposés ni à faire la paix entre eux ... ni non plus à la guerre civile.
Depuis longtemps ce pays n'est plus capable d'une demi mesure. Il faut tout reprendre à zéro. Ou presque.
Peut-on refaire le barrage hydroélectrique de Péligre ? Peut-on nettoyer le Bois de chêne, la gigantesque ravine qui traverse la capitale, sinon reprendre complètement la construction de ces œuvres.

Le poisson commence toujours à pourrir à la tête ...
Trop tard aussi pour nos rues et nos routes, aucune réparation d'importance, aucun rafistolage. Pourquoi ? Parce qu'elles sont construites à fleur de terre, à même le sol. Sans fondation, ni compactage.
Après quelques mois, tout est à refaire. Il faut de nouveaux fonds. On recommence alors à faire le siège des organismes internationaux de financement. Nos gouvernements passent tout leur temps à cela. Aussi il ne leur en reste point pour gouverner véritablement le pays. Accomplir le plus important : établir un Etat de droit. Rétablir l'autorité de l'Etat.
Comme dit le français : le ver est dans le fruit. Et le créole : le poisson commence toujours à pourrir à la tête.
Pareil nos élections. Confiées elles aussi à la mendicité internationale. Une affaire de gros sous, et rien d'autre. Du haut en bas de l'échelle. Quel comportement attendre d'officiels élus dans de pareilles conditions !

Remontée du cholera ...
En même temps on apprend que le choléra connaît une remontée de 300 pour cent. Comment cela, il n'a pas plu de toute l'année. Sources et rivières se sont taries. Ce sont elles le vecteur principal de ce méchant microbe, non ? Pas tout à fait vrai. C'est l'eau le problème. Sécheresse. Pas d'eau. On boit n'importe quoi. Choléra.
Il n'y a pas de demi mesure qu'établir un réseau de distribution d'eau potable à l'échelle de tout le pays. Et d'autres conditions d'assainissement.
C'est à ce niveau qu'il faut continuer à mettre la pression sur les Nations Unies dont la responsabilité dans l'introduction du malheureux bacille dans notre pays a été démontrée par les plus grands experts.
Et non continuer à répéter que la mission des casques bleus n'a été utile à rien. Revenons à cet officiel mentionné plus haut soulignant que la Minustah (traduisez : mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti) sera bientôt partie et qu'il nous faudra trouver non seulement une autre alternative. Mais en même temps aussi ... un autre prétexte !

De Morne à Tuf à Morne Calvaire ...
La Minustah, par sa seule présence, serait-elle symbolique, nous a quand même donné dix années de tranquillité.
Quelle était la situation à son arrivée ? Tout le monde s'armait jusqu'aux dents. Du résident de Morne à Tuf à celui de Morne Calvaire, l'un comme l'autre barricadé dans son univers. Ou son enfer. Ne s'adressant que par des menaces.
Voilà ce que cet officiel a voulu nous rappeler.
Le reste c'est du cinéma, de l'esbroufe. De la politique !
Ce que par contre il faut reprocher, mais non pas à la Minustah que plutôt à ceux qui lui avaient confié le job, décideurs nationaux et internationaux, c'est qu'elle s'en va sans que le job en question ne soit accompli.
En effet, la stabilisation n'est pas plus une réalité aujourd'hui qu'il y a dix ans.
Pour ne rien vous cacher, la dernière période de stabilité de ce pays remonte, tenez-vous bien : à la dictature Duvalier.
Dans les conditions que vous savez, bien entendu !

Le sang sèche vite ...
Mais ce n'est pas parce que Papa Doc avait établi la paix des cimetières, que parce que Washington, pour ses propres raisons et intérêts, avait décidé de délocaliser quelques dizaines de milliers d'emplois dans notre pays et de relancer notre industrie du tourisme.
Comme chante Ferrat, le sang sèche vite dans l'Histoire ... mais quand il y a une suite.
Voilà la suite logique de la mission qui a été confiée aux Nations Unies il y a dix ans par nos politiciens nationaux et internationaux.
Mais les Haïtiens ne sont pas plus disposés pour la guerre civile que pour s'entendre, s'embrasser ...
La guerre civile chez nous c'est Roméo et Juliette, deux clans qui se déchirent ... mais en mettant en danger la vie des autres, jamais la leur.
Donc simple jeu de politiciens car aucun peuple ne s'entend mieux que nous.
Graham Greene avait vu juste : Les Comédiens !
Envoyez nous des emplois et non des balles.
Non des balles sans emplois !
Et vous verrez.

Haïti en Marche, 23 Août 2015