PORT-AU-PRINCE, 6 Octobre – Le Secrétaire d'Etat américain John Kerry s'est voulu aussi détaché que possible lors du point de presse qui a marqué sa courte visite à Port-au-Prince, Haïti, ce mardi 6 octobre 2015.
Kerry a présenté les prochaines élections haïtiennes comme un passage obligé vers une amélioration de la situation économique pour notre pays. En reprenant le vieux slogan haïtien (et dans un français qu'il maitrise parfaitement) : 'l'union fait la force' !
Donc invitant à une participation aussi massive que possible lors des élections tout à la fois présidentielles, législatives (2e tour) et municipales fixées officiellement au 25 octobre 2015, soit donc dans moins de trois semaines. Se faut-il alors que le temps presse.
Le premier tour des législatives avait lieu le 9 Août dernier. Il a été marqué par quantité d'irrégularités et de violences. Celles-ci de toute évidence programmées.
John Kerry a adressé le problème, condamnant la fraude et le désordre. Et mettant en garde ceux qui compteraient l'emporter de cette façon.
Mais il n'est pas allé jusqu'à demander au conseil électoral provisoire (CEP) de sanctionner les candidats et partis responsables de ces actes, comme le réclame presque toute la classe politique (sauf les proches du pouvoir en place, ce qui n'est pas à leur avantage – en effet alors que le président Michel Martelly se félicite de la tenue du scrutin du 9 août, il semble donc ne pas reconnaître l'ampleur des dégâts provoqués, alors que Kerry lui-même l'admet), mais le Secrétaire d'Etat John Kerry, un monsieur d'apparence policé - très 'bostonian', considère peut-être que ce serait inconvenant de sa part, qu'il semblerait faire la leçon aux Haïtiens – bien que certains diplomates américains ne se sont point gênés pour le faire, et même dans une période récente.
C'est aux officiels haïtiens, principalement aux membres du Conseil électoral provisoire de saisir la balle au bond (à plus forte raison que ce dernier n'a pas hésité jusqu'ici à faire étalage de son pouvoir – mais dans d'autres directions), oui au CEP de prendre immédiatement les dispositions nécessaires pour rectifier la barre, en installant des garde-fous pour empêcher le même désordre de se répéter le 25 Octobre, mais aussi en sanctionnant publiquement les coupables, seule façon de mettre en garde les coquins car tant que ces derniers sauront qu'ils n'ont rien à redouter, il y aura toujours pour eux des offres d'emplois.
Premier point de l'agenda Kerry : mettre en garde contre les irrégularités et les fraudes.


Et le second point découlant normalement du premier : inviter à la plus large participation que possible le 25 Octobre.
En effet, nous savons par expérience que c'est une prise de possession massive des bureaux de vote par les électeurs qui est la meilleure protection contre les magouilles. La seule alternative restant alors aux mauvais joueurs c'est d'utiliser la violence ouverte, c'est-à-dire un vrai massacre, comme avait fait l'armée le 29 novembre 1987.
Le Secrétaire d'état américain n'aurait su trouver une meilleure formule de ralliement que : c'est l'union qui fait la force !
En un mot, voici l'ordre de combat : mettre en place un système qui soit basé sur la méthode (une bonne logistique et une administration compétente et honnête) et éventuellement aussi sur le consensus – mais ceci en souhaitant que les opposants au 25 Octobre aient pu réaliser que le message s'adresse à eux aussi (et surtout que le conseil électoral ait su lui aussi bien le déchiffrer), cela afin de donner au processus le plus de crédibilité que possible aux yeux de la population, seule façon bien entendu de convaincre celle-ci de faire le déplacement.
Avec la société civile (y compris la presse indépendante) comme arbitre, mais un arbitre juste, équitable, sans engagement personnel. Seule façon pour elle de jouer un rôle vraiment à la hauteur du défi auquel le pays fait face.
On ne peut être à la fois arbitre et en concurrence avec les joueurs sur le terrain. Sinon qu'est-ce que nous reprochons au CEP ?
Mais l'argument le plus massif du message Kerry est celui-ci : le pays ne pourra améliorer sa situation économique si nous ne solutionnons pas ce carrefour-obligé des élections.
Mais ce carrefour ne sera franchi que si les prochains élus sont vraiment légitimes, c'est-à-dire si les électeurs ont eu la pleine liberté pour se rendre aux urnes, sans peur d'être victimes des mauvais coucheurs. Ceux-ci doivent donc être d'abord maitrisés. En sanctionnant ceux qui ont déjà fraudé. Et en mettant en place des balises pour que cela ne se renouvelle point.
Cet aspect économique a été, hélas, insuffisamment développé par nos candidats. Savoir des changements économiques vont s'accomplir, sont déjà en train de s'accomplir dans la région, et seule une Haïti forte, politiquement forte, c'est-à-dire avec un gouvernement et un parlement légitimes, c'est-à-dire avec un fort appui des différents secteurs de la population, (car dans union fait la force, il y a aussi diversité et non dictature d'une majorité), seul ce pays-là qui pourra y trouver sa chance. Sinon ce sera 'lave men siye atè', aucune trace de ces changements qui restera pour le pays. Comme c'est souvent le cas ...
Sans cet effort, nous serons la honte de la région. Dont nous resterons aussi, comme aujourd'hui, le seul PMA ou pays le moins avancé.
Vous me direz, John Kerry a parlé comme si les élections haïtiennes n'avaient aucun intérêt personnel pour les Etats-Unis, comme si ceux-ci sont entièrement neutres.
Contrairement à la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton en décembre 2010, Kerry semble n'avoir voulu rencontrer aucun candidat en particulier, en tout cas ce n'était pas officiellement dans son agenda. Il a voulu plutôt regarder le peuple haïtien les yeux dans les yeux. Aussi le point le plus important de la visite a été cette conférence de presse, avec les journalistes haïtiens et aussi (et surtout) étrangers - mais ici la faute est au service de presse du palais national - qui l'accompagnaient à son retour de Valparaiso, Chili, pour l'inauguration d'un projet de protection de l'environnement marin baptisé 'Notre Océan', patronné par les Etats-Unis.
Une telle abnégation apparente, il se peut que c'est parce que Washington est pratiquement sûr aujourd'hui que nous n'avons aucune autre alternative, et d'un.
Mais deux, c'est trop facile aussi pour nous d'utiliser ce dernier argument comme prétexte, pour baisser les bras !
Et trois, c'est de notre avenir qu'il s'agit. Oui, et pas de celui d'aucun autre.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince