Par Emmanuel Marino Bruno
P-au-P, 18 août 2016 [AlterPresse] --- Pour la première fois, depuis le 18 octobre 2010, l'Organisation des Nations unies (Onu) a finalement admis sa responsabilité dans l'introduction de l'épidémie du choléra en Haïti, indique un communiqué de l'Institut pour la justice et la démocratie en Haïti (Ijdh) et du Bureau des avocats internationaux (Bai), publié le 18 août 2016.
Le porte-parole de l'Onu, Farhan Haq, a reconnu la nécessité pour l'organisation de faire beaucoup plus en ce qui concerne son implication dans le déclenchement de cette épidémie et les souffrances des personnes touchées par celle-ci, rapporte le communiqué.
Une « nouvelle réponse sera présentée au public, dans les deux prochains mois, une fois qu'elle a été entièrement élaborée, en accord avec les autorités haïtiennes et les États membres ».
L'annonce de l'Onu a été faite, en réponse à un rapport critique d'un éminent conseiller de l'Organisation, Philip Alston, un des nombreux experts des droits humains des Nations Unies qui ont utilisé leur position pour appeler à une réponse juste de l'organisation depuis 2014, souligne le communiqué, citant le journal américain le New York Times.
La position de l'Onu est « moralement inadmissible, juridiquement indéfendable et politiquement vouée à l'échec », dénonce Alston, dans le rapport non encore rendu public.
Une victoire pour les familles des victimes
« En Haïti, nous disons, la victoire est pour le peuple. Ceci est une grande victoire pour les milliers d'Haïtiennes et d'Haïtiens qui ont marché pour la justice », declare Me Mario Joseph, le responsable du Bureau des avocats internationaux (Bai).
Avec d'autres avocats, ce dernier a mené une campagne, depuis 2011, pour obtenir justice et réparations pour les victimes du cholera en Haïti.
Le gouvernement de Joseph Michel Martelly n'a jamais soutenu (entre 2011 et 2016) les revendications des victimes et personnes affectées par l'épidémie de cholera dans leurs actions contre l'Onu.
« Ceci est une première étape révolutionnaire vers la justice », a déclaré Béatrice Lindstrom de l'Institut pour la justice et la démocratie en Haïti (Ijdh), qui a déposé une plainte contre l'Onu pour les pratiques d'assainissement irresponsables qui ont provoqué l'épidémie de choléra.
« Mais les promesses ne pourront pas arrêter le massacre provoqué par le choléra, ni compenser les dommages causés aux familles pauvres en Haïti. Le véritable test est ce qui vient ensuite. L'Onu doit joindre l'annonce à l'action, incluant des excuses publiques, l'établissement d'un plan visant à fournir une indemnisation aux victimes qui ont tant perdu (...), poursuit-elle.
L'Onu « doit veiller à ce que le choléra soit éliminé en Haïti, grâce à des investissements solides dans les infrastructures de l'eau et de l'assainissement. Nous allons continuer à nous battre » jusqu'aux résultats escomptés, affirme Béatrice Lindstrom.
Les Nations Unies ont également annoncé qu'elles vont entreprendre une série « de nouvelles actions significatives », dans les deux mois à venir, et qu'une série d'options sont à l'étude.
« Nous nous félicitons de cette annonce, mais l'Onu doit veiller à ce que les victimes aient une voix centrale dans ce processus », recommande l'avocat Mario Joseph.
Cette reconnaissance, même tardive, de l'Onu (sur son implication dans l'introduction de l'épidémie de choléra en Haïti à partir d'octobre 2010), fait suite à une campagne mondiale de cinq ans, qui a réuni des victimes du choléra, des organisations de base, comme le Mouvement de liberté et d'égalité des Haïtiens pour la fraternité (Moleghaf), plusieurs militants du monde entier, des experts juridiques, de droits humains et des organisations de la société civile, la diaspora haïtienne, des scientifiques et des universitaires, entre autres.
« Ceci est aussi une victoire pour les personnes, à travers le monde, qui croient en une Organisation des Nations unies qui met en pratique ce qu'elle prêche sur les droits humains », a déclaré Brian Concannon, du directoire exécutif de l'Institut pour la justice et la démocratie en Haïti.
Plus de 145 personnalités et organismes au Canada ont appuyé cette démarche dans une lettre ouverte publiée en mai 2016.
Suite à de nombreuses preuves scientifiques accablantes, y compris un rapport d'un groupe d'experts indépendants choisis par l'Onu, la responsabilité de l'introduction, en octobre 2010, de l'épidémie de choléra a été attribuée à un contingent de militaires népalais de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), installée en Haïti depuis 2004.
[1] Ndlr : l'épidémie de choléra a été introduite, en octobre 2010, par un contingent de casques bleus népalais qui a déversé des matières fécales dans la rivière Mèy, à environ 2 km au sud de Mirebalais / bas Plateau central, créant un « foyer d'infection de choléra en Haïti », selon divers rapports scientifiques.
Malgré l'évidence de leur implication dans l'introduction de l'épidémie de cholera, qui a tué des milliers de personnes et affecté plusieurs autres milliers, les Nations-Unies n'ont aucun scrupule à émettre un communiqué, le 26 octobre 2010, dans lequel elles affirment que le traitement des eaux usées à leur base népalaise serait « conforme aux standards internationaux établis ».