MIAMI, 20 Mai – La situation parait bloquée au niveau politique. Et pas seulement chez nous en Haïti. C’est une conséquence générale de l’épidémie du coronavirus et des problèmes qu’elle entraine outre les centaines ou dizaines de milliers de morts (plus de 328.000 à date dans le monde, dont plus de 97.000 aux Etats-Unis). Et de l’arrêt presque total de la machine économique dans la majorité des pays, avec rien qu’aux Etats-Unis plus de 30 millions s’inscrivant au chômage en moins de deux mois.
En Haïti le président Jovenel Moïse n’est plus embêté par son opposition, détenant aujourd’hui un pouvoir quasi dictatorial par la force des choses, au point de faire miroiter dans son message du 18 mai dernier, 217e anniversaire de la création du drapeau national, qu’il se prépare à organiser des législatives mais sans plus de détails (notent les agences locales d’informations).
Rappelons que celles-ci (lesdites législatives) auraient dû être tenues depuis l’été de l’année dernière et que l’an prochain ce sont les présidentielles qui doivent avoir lieu pour l’installation (probablement) d’un nouveau président élu de la république le 7 février 2022.
Le mandat présidentiel est de 5 ans. L’actuel chef de l’Etat avait prêté (effectivement) serment le 7 février 2017.
Dans l’état actuel des choses en Haïti (à tout point de vue : sécuritaire, sanitaire, alimentaire, et surtout économique etc) la solution la plus sage, et qui dit même patriotique, aurait été d’organiser une seule consultation électorale, à la fois législative, présidentielle et communale et autres, pour économiser non seulement les maigres ressources économiques mais également le peu de dispositions, serait-ce mentalement parlant, qui restent encore à ce pays qui aura été tant maltraité depuis le séisme du 12 janvier 2010 et plus tard.
Mais bien sûr on peut craindre plutôt que Mr. Jovenel Moïse et ses alliés n’en profitent pour nous jouer … un nouveau coup fourré à la Papa Doc.
En effet, profitant de la tenue d’élections législatives, celui-ci fit inscrire, subrepticement, à l’envers des mêmes bulletins ‘Votez François Duvalier, président de la République’, puis, les élections terminées, c’est pour déclarer qu’il a été réélu à l’unanimité des voix exprimées.


Puis après, l’appétit aidant, pour se déclarer président à vie le 22 juin 1964.
Nous ne soupçonnons pas le président Jovenel Moïse de rêver à la présidence à vie (quand même !!!), de plus selon la constitution haïtienne en vigueur le président ne peut pas se reconduire automatiquement, par contre profiter de la situation actuelle pour renouveler en douceur la permanence au pouvoir de son clan en faisant élire un (‘puppet’) pantin quelconque qui lui garantisse un second mandat, voyons en 2027, pourquoi pas ?
Comme dit notre créole aussi savoureux qu’intelligent : ‘se sòt ki bay, enbesil ki pa pran.’
Traduisez : vu les mœurs politiques haïtiennes bien connues, qui n’en profiterait ?
Les exemples abondent. Et pas si rares que ça, y compris dans des temps assez récents.
Mais assez donner, disons, de mauvaises idées à nos gouvernants qui déjà paient grassement assez de lobbyists pour faire le même job, n’est-ce pas, et voyons voir plutôt comment cela se présente ailleurs.
Prenons aux Etats-Unis. Situation assez paradoxale à l’approche des prochaines présidentielles déjà le 3 novembre prochain.
Face à face le président en exercice Donald Trump (73 ans) et son rival Démocrate qui sera probablement l’ex-vice-président de Barack Obama, Joe Biden (77 ans).
Alors qu’on devrait avoir au mois d’août prochain la convention du parti Démocrate qui doit désigner officiellement le challenger de l’actuel occupant de la Maison Blanche, on ne voit comment réunir plusieurs dizaines de milliers de personnes dans un même centre de convention en pleine épidémie de Covid-19 avec les mesures inévitables de distanciation ?
Joe Biden sera donc investi candidat sans tambour ni trompettes, déjà une première dans l’histoire des présidentielles américaines.
Mais il y a plus. Le président Donald Trump lui aussi n’en mène pas large et parait apparemment incapable de mener lui non plus une campagne normale.
C’est chaque jour qu’il met les pieds dans les plats. Coincé à la Maison blanche alors que sa spécialité ce sont les grands meetings de masse où il se déplace constamment d’Etat en Etat, de ville en ville, pour stimuler ses partisans. Plutôt dans les milieux droite conservatrice.
Voilà donc pourquoi sa stratégie à l’heure actuelle c’est ouvrir à nouveau le pays, dans une opération à marches forcées, montrer que le pays ne peut pas rester ‘confiné’ (fermé) plus longtemps au risque de perdre son statut de première puissance économique. ‘Reopen America.’
Pour cela qu’ils multiplient les déclarations de toutes sortes et à l’emporte-pièce, quitte à se faire ridiculiser lorsqu’il annonce par exemple que depuis une dizaine de jours il prend sa petite ration de chloroquine (‘hydroxychloroquine’) pour rester à l’abri de l’épidémie, alors que les organes officiels (FDA qui est l’agence d’autorisation des médicaments) décommandent l’usage de ce produit en dehors des milieux hospitaliers etc.
Mais on sent notre Trump qui se débat comme un diable dans un bénitier. Devant chaque jour inventer quelque chose pour se dédouaner des responsabilités que ses adversaires de leur côté s’emploient consciencieusement à lui faire porter dans la gravité de la crise.
Stratégie du numéro 1 américain : trouver quasi quotidiennement un bouc émissaire.
Quoiqu’on ne sente pas le rival Joe Biden (77 ans) tout à fait à la hauteur de la tâche, en mesure de profiter seulement par lui-même des conditions créées par cette crise la plus terrible vécue par nos générations mais qui laisse tout le monde désarmé, pouvoir comme opposition.
D’où le rôle de plus en plus actif que joue l’ex-président Barak Obama, qui a annoncé son plein engagement dans la campagne du candidat Démocrate.
Tandis que Trump appuie de toutes ses forces le mouvement de ‘déconfinement’ pour tenter de se sortir du piège des dommages surtout économiques (croissance négative, chômage etc) provoqués par l’épidémie, et dans lequel semble vouloir l’enfermer son opposition Démocrate.
Aussi ne veut-il pratiquement point entendre parler de Coronavirus, tel jour annonçant qu’un vaccin sera prêt en décembre prochain mais pour se faire tout de suite démentir par la communauté scientifique, tel autre jour que le médicament chloroquine est excellent et qu’il en prend lui-même tous les jours alors que sur le plan personnel les résultats de ses tests restent négatifs, et finalement révoquant la cellule scientifique qu’il avait mis en place à la Maison blanche pour le conseiller – tout cela tendant presqu’à suggérer que le coronavirus est, peut-être qui sait, un dernier piège (‘hoax’ ou canular) inventé par ses opposants !
Mais avec la différence que les Etats-Unis ce n’est pas Haïti et que même une guerre nucléaire ne pourrait empêcher les présidentielles de se tenir le 3 novembre prochain.
C’est la différence avec un pays où ce sont les institutions et non les élus (hommes ou femmes) qui assurent le maintien et l’équilibre des pouvoirs. Et la permanence de la démocratie.
Mais Haïti n’est pas seule à être menacée de sortir des sentiers normaux sous les coups de la Covid-19, prenons l’exemple aussi de la France où un président Emmanuel Macron est lui aussi le seul coq qui chante depuis le déclenchement de l’épidémie qui y a fait à date plus de 28.000 morts pour près de 144.000 contaminés.
Voici donc la France où la veille un seul titre faisait l’actualité : le mouvement revendicatif des ‘Gilets jaunes’, mais où soudain le confinement et la distanciation sociale ne laissent plus entendre que le président de la république, Mr. Emmanuel Macron. Le fameux dicton américain : ‘rally around the flag’ (tous autour du drapeau !), eh bien c’est à la France qu’il sied aujourd’hui.
De Gaule disait : c’est nous ou les communistes ! Voici Macron entre d’un côté l’extrême-droite de Mme Marine Le Pen et l’extrême-gauche de Jean Luc Mélenchon, donc votez Macron votez l’équilibre n’est-ce pas ! Quoi de plus raisonnable. Au pays de la philosophie des Lumières.
Voire dans des pays penchant encore plus fortement vers la droite extrême comme l’Italie, déjà la plus frappée sinon la première à l’avoir été en Europe occidentale par la pandémie.
Mais nulle part on ne voit aucun de ces chefs d’Etat manifester autant de sérénité que notre président Jovenel Moïse qui après 4 années de mandat sur cinq, continue à répéter au peuple les mêmes promesses de sa campagne électorale et qui plus est, à se moquer aussi sereinement de ses opposants en leur indiquant de prendre comme lui la voie des urnes s’ils veulent être un jour dans le fauteuil bourré.
Il est vrai bourré de quoi ? De dollars verts, probablement.

Mélodie 103. 3 FM, Port-au-Prince