JACMEL, 21 Juillet – Après la crise, le partage du gâteau !
En effet, alors que rien ne laissait prévoir les violents événements que vient de vivre le pays (des émeutes faisant des centaines de millions de dollars de dégâts, et plusieurs centaines de nouveau chômeurs sur un marché du travail déjà exsangue, et au moins trois morts), cependant au moment de faire les comptes, chacun essaie plutôt de se donner le beau rôle. Le pouvoir, pour diminuer ses responsabilités dans la crise, accusant l’opposition ; de son côté celle-ci déclarant que c’est son travail de sensibilisation auprès de la population, qui a porté ses fruits.
Etc.
A la vérité, les uns comme les autres essaient uniquement de tirer leur épingle du jeu mais d’un jeu qui n’est pas le leur, et qui pis est, dont ils ne connaissent pas les règles. Donc qui peut rebondir, sous nos yeux éperdus, à n’importe quel moment.
Conclusion : nous restons assis sur un volcan.
Le premier à réagir a été le gouvernement qui, méthode classique, a fait procéder dare-dare à l’arrestation de plusieurs dizaines de citoyens sous les accusations pêle-mêle d’incendie, de pillage et bien entendu d’association de malfaiteurs.
Et comme ce sont de pauvres hères sans véritable identité politique, alors le commissaire du gouvernement, le très contesté et entreprenant Ocnam Clamé Daméus (et certains affidés du régime, qui ont accès sur les ondes !) ont pour mission d’identifier des responsables attitrés - à cette catastrophe non annoncée, qu’ils vont chercher sans effort chez quelques opposants on ne peut plus déclarés au pouvoir en place. Tel le sénateur de l’Ouest, Antonio Chéramy dit Don Cato.

 

Intermezzo …
Mais ce n’est là qu’une simple parade (‘intermezzo’), le temps de laisser les choses se décanter et que le pouvoir puisse retrouver son équilibre. La preuve, ces plus de soixante détenus n’ont toujours pas comparu. Il est vrai aussi que les cabinets d’avocats prêts à voler à leur défense, se comptent par dizaines.
Les partisans du pouvoir (ou disons plutôt les salariés car on est tous casé quelque part, pas une place vide, y compris des individus en contravention avec la loi comme on vient de voir avec ce directeur de production de la Radio Télévision d’Etat embarqué pour un vol paraît-il de plus d’1 million de dollars commis aux Etats-Unis – bref il ne reste pas de place pour piquer une épingle, d’où aussi la grande difficulté pour réaliser la promesse d’ouverture et d’inclusion grâce à laquelle le président Jovenel Moïse espère sauver son fauteuil) ; mais on a essayé aussi de mettre la responsabilité sur le dos de la Police nationale d’Haïti qui n’aurait pas suffisamment fait acte de présence pendant ces journées folles (6 au 8 juillet).
Mais pour une raison ou une autre, là aussi le Sénat hésite à interpeller comme annoncé le Directeur Général de la Police, Michel Ange Gédéon.
Il est vrai qu’il serait encore plus bête de se mettre aussi à dos le seul corps de sécurité public existant.
Le gouvernement n’a pas eu l’audace de déployer ses présumées forces armées reconstituées. Outre de manière unilatérale, par la seule volonté du prince, mais on parle de quelque 150 individus des deux sexes armés de manière on ne peut plus hétéroclite.

La République ne peut plus attendre ! …
Cependant voici l’opposition politique, elle aussi totalement désarmée face à la nouvelle conjoncture, et qui se retrouve comme le pouvoir essayant de sauver la face.
D’un côté une partie d’entre elle, en acceptant bon gré mal gré d’émarger au budget de financement des partis politiques, avait été forcée de mettre une sourdine ; de l’autre la branche radicale, peut-être aussi pour des raisons financières mais dans l’autre sens, avait dû mettre une halte à ses manifs pendant le mois de la coupe du monde de football. Or voici que les événements vont nous prendre tous par surprise en éclatant le vendredi 6 juillet. Défaite du Brésil, l’équipe favorite des masses en Haïti. Annonce malencontreuse le même jour par le gouvernement d’une hausse de plus de 50 pour cent des prix de la gazoline sur le marché local. Eclatement de la colère populaire !
Aujourd’hui la même opposition essaie de se consoler en déclarant que c’est son travail de motivation qui a porté ses fruits.
Possible. Mais qu’avait-elle préparé comme alternative au cas où ce travail réussirait ?
Ah oui, la sacro sainte conférence nationale souveraine dont l’idée est déjà vieille de trois décennies ; ou alors des formules de gouvernement de transition en veux-tu en voilà.
Mais la République ne peut plus attendre. Mais, me direz-vous, n’attend-elle pas depuis déjà deux cents ans !

Eclatement du Parlement …
Force est donc de recourir aux pouvoirs dits constitutionnels.
Mais lequel, étant donné que tous sont responsables au même titre de la catastrophe.
Le parlement qui devrait être content de pouvoir encore jouer un rôle, eh bien le voici au contraire qui éclate sous le poids de ses propres contradictions.
Ses rangs sont traversés de tant d’ambitions diverses et antagoniques que c’est l’éclatement qui est la perspective la plus proche.
Au sénat c’est une bataille de chiffonniers entre les sénateurs Joseph Lambert (lui-même président du grand corps) et son confrère du même département géographique (Sud-est, chef-lieu Jacmel), Ricard Pierre, à coups de dénonciations les plus basses, il est vrai révélatrices des mœurs particulières à nos élus, mais qu’on pourrait réserver pour une autre fois tandis que la chambre des députés est sur le point de fermer. De son plein gré. De l’avis de son président, le député Gary Bodeau, ses confrères ne viennent plus aux séances … parce qu’ils ont peur !
Selon le président Bodeau, un secteur (mais qu’il a refusé d’identifier) menacerait d’incendier le parlement.
Mais n’est-ce pas bizarre que le sénat n’ait pas relayé la même alarme, les deux chambres se trouvant dans le même complexe de bâtiments au Bicentenaire (anciennement Cité de l’Exposition).
Allons donc ! C’est sa façon à chacun des pouvoirs en place d’essayer de protéger ses ambitions, cela dans une manoeuvre d’encerclement de l’actuelle conjoncture (comme dirait le créole) ‘si tellement’ inattendue.

‘Kenbe mimi, lage makou’ …
Ou encore en essayant de regagner la confiance de la population par toutes sortes de propositions (tenez-vous bien) pour diminuer les avantages des élus.
Ou comme dit le créole : ‘kenbe mimi, lage makou’.
Blanc bonnet et bonnet blanc !
Alors que la seule solution ce serait une refonte totale des procédés d’utilisation de la caisse publique (puisque c’est le seul mobile de notre pléiade de candidats aux fonctions publiques … et non la vocation de servir le pays).
Or ce n’est pas aux élus, ni actuels ni futurs, que cette mission revient qu’à une commission indépendante d’évaluateurs nationaux compétents.
Ces derniers existent. Aussi bien dans le pays qu’en diaspora.
Tout le reste, c’est ‘lave men siye atè.’

Haïti en Marche, 21 Juillet 2018