Pourquoi et Quand Jovenel Moïse est-il Devenu un Autre ?

MIAMI, 6 Juillet – Il y a deux périodes dans le mandat présidentiel de Jovenel Moïse dont la seconde commencerait avec son voyage en Turquie, en juin 2021, hélas moins d’un mois avant son assassinat.
Commençons par le commencement. 7 Février 2017. Prestation de serment au parlement haïtien. Jovenel qui ? Ce jour-là c’est le triomphe d’un seul homme. Il s’appelle Joseph Michel Martelly, l’ex-président (2011-2016), qui les élections présidentielles ayant été rejouées, a laissé la place cependant sans rechigner à un président provisoire en la personne du sénateur Jocelerme Privert.
La victoire aux urnes de Jovenel Moïse ne trompe personne, c’est celle d’abord du poulain de Michel Martelly. Et celle aussi de toutes ces grandes capitales qui considèrent ce dernier comme leur champion local. Pendant que le nouveau président et la nouvelle première dame sont assis sagement, plutôt intimidés dans leurs habits de cérémonie presque folkloriques, les ambassadeurs et tout le corps diplomatique ne cachent pas leur admiration pour l’ex-président Martelly comme si celui-ci avait réussi là un coup extraordinaire : maintenir la présidence d’Haïti sous les mêmes auspices. Sous leurs auspices.
On sait que Michel Martelly a été plus que le favori de Washington lors des présidentielles de 2011, on dit que le président René Préval reçut même des menaces s’il n’acceptait la manipulation des résultats du premier tour du scrutin.
Par conséquent le nouveau président qui prête serment le 7 février 2017 ressemble qu’on le veuille ou non … à ce qu’on appelle un homme de paille.
Comment cela se passe-t-il dans la pratique ?

Jeux d’intérêt individuels et partisans au sein des mêmes …

Un vrai chaos sur le plan gouvernance locale. Une opposition fort agressive, qui bloque le pays pendant plusieurs semaines (‘pays locked’) en même temps que le président n’arrive pas à faire voter son programme de politique générale par un parlement pourtant de même appartenance (‘PHTK et alliés’) mais que des jeux d’intérêt individuels et partisans opposent de manière radicale.
Cependant le régime a une garantie, c’est le support indéniable des puissances amies. Voire un président républicain Donald Trump qui se fiche d’Haïti au point qu’on n’y tienne ou pas les élections législatives ou autres, ou remanie à sa guise la constitution en vigueur etc. que cela ne lui fait ni chaud ni froid.
On ne compte plus les tentatives dites de ‘réconciliation nationale’ mais toujours sous l’égide du Core group (puissances amies), amies d’abord du régime en place … Donc on ne finit pas de faire du surplace. Et le pourrissement de s’approfondir.
La chute de la monnaie nationale (plus de 116 gourdes pour 1 dollar américain) ne choque plus personne.
Mais surtout la corruption gagne toujours plus de secteurs dans l’administration publique (prioritairement le parlement devenu un rendez-vous de millionnaires en compétition, ainsi que les organismes dits déconcentrés ou boites de l’Etat mais qui n’appartiennent qu’à leurs occupants en chef du moment et à leurs obligés dans les hautes sphères – ONA, AGD etc), cela pendant que, ironiquement, le chef de l’Etat s’en prend aux oligarques, alors que des oligarchies se forment sous son nez.


Or déjà comment serait-il lui-même arrivé sans les oligarques ?
Sans les millions des milieux d’affaires locaux encouragés bien sûr par le support de la communauté internationale pour le régime au pouvoir (PHTK).
Que s’est-il donc passé ?

L’attirance soudaine vers de nouveaux horizons …

Un seul événement peut expliquer le changement, voire la métamorphose enregistrée chez le président Jovenel Moïse : l’attirance soudaine vers de nouveaux horizons internationaux !
Suivons-le sur son compte twitter déjà au moment de l’éclatement de la pandémie du Covid et sa satisfaction d’avoir échangé avec un président malgache Andry Rajoelina.
Puis coup de théâtre, la réception au palais national, le mercredi 2 juin 2021, pour recevoir les lettres de créance de l’ambassadeur de la Fédération de Russie en Haïti, Sergei Melik-Bagdasarov.
Suivi peu de temps après du voyage en Turquie ‘dans le cadre du forum sur la diplomatie à Antalya.’
Le président haïtien participe au forum baptisé ‘One Voice où tous les pays pauvres pourront parler d’une seule voix.’
L’agence locale Gazette-Haïti écrit : ‘En compagnie de la première dame Martine Moïse et du premier ministre par interim Claude Joseph, c’est un président de la république l’air heureux et fier, vêtu de son costume bleu, qui fait un condensé de sa visite de deux jours en Turquie. Entre sa rencontre bilatérale avec le président turc Recepp Tayyip Erdogan, des réunions avec le secteur privé du pays et des entrepreneurs de la technologie, l’agenda de l’occupant du palais national de Port-au-Prince était visiblement chargé.’

« Diplomatie innovante, nouvelle ère, nouvelle approche » en compagnie des présidents du Kosovo et du Kenya …

« J’ai eu une rencontre avec le président du forum international de la diplomatie où il a pu me parler de partenariat public-privé en Turquie », informe Jovenel Moïse ajoutant qu’à cette occasion, il a parlé sur comment « Haïti pourra bénéficier des avancées technologiques de la Turquie ». De plus, le président de la république dit s’être entretenu avec le responsable du secteur privé de la Turquie sur les innombrables opportunités se trouvant en Haïti.
‘Après ces différentes rencontres, le chef de l’Etat Jovenel Moise dit avoir pris la parole dans le forum axé sur le thème « diplomatie innovante, nouvelle ère, nouvelle approche » en compagnie des présidents du Kosovo et du Kenya, respectivement, Vjosa Osmani et Uhuru Kenyatta, du haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, entre autres. « Les choses ne peuvent plus continuer de cette façon en matière de relations entre les pays riches et les pays pauvres », déclare Jovenel Moise évoquant un certain déséquilibre entre les pays membres de l'ONU plus de 75 ans après sa création. Un organisme pourtant chargé de faciliter une meilleure relation entre les pays pauvres et riches.
« J’ai été clair. Si nous continuons à produire les mêmes actes en attendant d’autres résultats, les choses ne feront qu’empirer », avance Jovenel Moise qui dit avoir appelé les leaders à un changement au niveau de leurs actions.
‘Lors des discussions avec le président turc, le locataire du Palais national dit avoir également abordé la question de la sécurité, notamment la possibilité de bénéficier des équipements de protection individuelle pour la Police nationale d’Haïti. À ce niveau, un mémorandum d’entente a été signé entre le responsable de l’industrie d’armement turc et le ministre haïtien de la Défense, selon Jovenel Moïse, qui n’a pas caché sa satisfaction relative à ce voyage.’

Ce n’est plus le même bonhomme plutôt timide qui prêtait le serment constitutionnel le 7 février 2017 …

Est-ce que ce sont ces nouvelles rencontres et les possibilités qu’elles peuvent ouvrir pour un président déjà passionné d’énergie électrique et de barrage hydro-électrique, de construction et cimenterie est-ce cela qui a changé tant le bonhomme, qui lui est monté à ce point à la tête qu’il se met aussitôt, comme on dit, à bouffer de l’’oligarque corrompu’ à tous les repas.
Il est évident dans ces derniers propos que ce n’est plus le même bonhomme plutôt timide qui prêtait le serment constitutionnel le 7 février 2017 dans un océan de félicitations mais toutes pour son prédécesseur et mentor.

Mettre comme on dit la charrue devant les bœufs ...

Cependant attention, tout ça ne s’acquiert pas non plus en un jour. Les nouveaux dirigeants auxquels se frotte maintenant notre jeune président sont des gouvernants de métier, c’est-à-dire qui brillent par leur sens du leadership ainsi que par leur expérience du métier.
Ce sont pour la plupart aussi des dirigeants à pouvoir fort quoique élus, tel n’est pas encore tout à fait le cas chez nous où notre démocratie se cherche encore.
Conclusion : il est possible que les dernières initiatives du président aient dérangé plus d’un, en même temps que, lui-même par manque d’expérience, il ait pu mettre comme on dit la charrue devant les bœufs.
Jovenel Moïse était-il un Thomas Sankara haïtien en devenir ?
En tout cas aucun ‘Joveneliste’ qui l’ait jusqu’ici pas même suggéré.

Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, 6 Juillet 2022

NB. Des auditeurs sont offusqués par le rapprochement en fin de cet éditorial de notre chef de l’Etat assassiné le 7 juillet 2021 avec le jeune président du Burkina Faso, Thomas Sankara, assassiné lui aussi au pouvoir, le 15 octobre 1987, soulignant que ce dernier était un révolutionnaire, socialiste et anti-impérialiste convaincu.
Nous leur donnons acte. M.G.