Rezonedwes.com
Mais tout cela n’était qu’une illusion.


Loin d’être la clé du salut du pays, la banque a été, dès sa création, un instrument aux mains de financiers français et un moyen de garder une mainmise asphyxiante sur l’ancienne colonie jusqu’au 20e siècle
Il est inacceptable que les autorités de fait installées dans les couloirs décisionnels de l’administration publique haïtienne, par un tweet de Core Group, continuent de garder le silence, environ une semaine après les révélations fracassantes de New York Times sur la programmation d’Haiti vers son état de pauvreté ou de misère abjecte, en ayant graduellement à sa tête de dirigeants corrompus, apatrides, soumis et partisans de toute compromission.
À la fin du 19e siècle, le Crédit Industriel et Commercial a soutiré des millions à Haïti. Le Times a retracé l’histoire de cette opération — et son coût pour Haïti.
Le 25 septembre 1880, au cours d’une soirée au Palais national, alors que les derniers paiements de la rançon de la dette de l’Indépendance semblent enfin à portée de vue, et qu’ Haïti n’aura plus à tituber d’une crise à l’autre, ni à garder un œil sur l’horizon, à l’affût d’un retour de navires de guerre français, le New York Times rapporte que le président Lysius Salomon, par une déclaration solennelle et inattendue, a réussi un tour de force qui semblait impossible depuis la création du pays.
“Le pays sera bientôt doté d’une banque”, annonce-t-il à ses invités en portant un toast. Dehors, des soldats paradent dans des rues de Port-au-Prince bardées de gigantesques drapeaux.
Salomon a des raisons d’être optimiste, a souligné New York Times. Le président avait réellement en tête de belles idées de développement réel du pays. Selon lui, en venant avec cette idée le 25 septembre 1880, à l’instar des banques nationales en Europe qui ont financé la construction de chemins de fer et des usines, atténué les chocs des récessions et apporté de la stabilité à la gestion des affaires publiques, la Banque Nationale d’Haiti allait contribuer à en faire autant.
C’est désormais au tour d’Haïti de profiter d’un “grand évènement, qui fera époque dans nos annales”, clame Salomon.
Mais tout cela n’était qu’une illusion.
La Banque Nationale d’Haïti, sur laquelle tant d’espoirs étaient fondés ce 25 septembre 1880, n’avait en fait de nationale que le nom. Loin d’être la clé du salut du pays, la banque a été, dès sa création, un instrument aux mains de financiers français et un moyen de garder une mainmise asphyxiante sur l’ancienne colonie jusqu’au 20e siècle.
Derrière cette banque fantoche, on retrouve un nom bien connu des Français : le Crédit Industriel et Commercial (CIC).
Alors qu’à Paris, le CIC participe au financement de la tour Eiffel, symbole de l’universalisme français, il étouffe au même moment l’économie haïtienne en rapatriant en France une grande partie des revenus publics du pays, au lieu de les investir dans la construction d’écoles, d’hôpitaux et autres institutions essentielles à toute nation indépendante.
Pesant 335 milliards de dollars, le CIC est aujourd’hui une filiale du Crédit Mutuel, l’un des plus grands conglomérats financiers d’Europe. Mais la banque a laissé derrière elle en Haïti un lourd héritage d’extraction financière et d’espoirs déçus — même pour un pays qui a longtemps souffert de ces deux maux.
Haïti fut la première nation moderne à obtenir son indépendance grâce à une révolte d’esclaves, avant d’être entravée financièrement sur plusieurs générations par les réparations exigées au bénéfice des anciens colons français.
Et au moment où ces paiements étaient sur le point d’être acquittés, le CIC et sa Banque Nationale — ceux-là mêmes qui portaient une promesse d’indépendance financière — ont enfermé Haïti dans un tourbillon de nouvelles dettes s’étalant sur plusieurs décennies.
La Banque Nationale était contrôlée depuis Paris par des membres de l’élite française, y compris un descendant d’un des plus riches esclavagistes de Saint-Domingue, le nom d’Haïti pendant la colonisation française. Les livres de comptes de la banque ne laissent percevoir aucune trace d’investissement dans des entreprises haïtiennes ou dans d’ambitieux projets comme ceux ayant modernisé l’Europe. Les dossiers découverts par The New York Times démontrent plutôt que le CIC a siphonné des dizaines de millions de dollars à Haïti, au bénéfice d’investisseurs français.