MIAMI, 19 Octobre – Colin Powell, premier Noir qui accéda au grade de général en chef des forces armées américaines, ainsi qu’à celui de secrétaire d’Etat ou chef de la diplomatie du pays militairement le plus puissant de la planète, jouera aussi un rôle dans les événements politiques qui agiteront notre pays Haïti pendant les trois décennies écoulées, et qui se poursuivent encore aujourd’hui … et pour le pire.

Au lendemain des premières élections démocratiques et constitutionnelles tenues après la chute de la dictature Duvalier (en 1986), une délégation arrivait de Washington.

Elle était composée de trois importantes personnalités : l’ex-président démocrate Jimmy Carter, l’ex-secrétaire d’Etat à la Défense (considéré comme l’architecte de l’intervention américaine au Vietnam sous le président Kennedy) puis président de la Banque mondiale, Robert McNamara et le chef d‘Etat-major en fonction, le général Colin Powell.

Ils sont venus assister à la prestation de serment du président élu Jean-Bertrand Aristide, le 7 février 1991.

Mais rapidement le bruit courut, vrai ou faux, qu’ils sont venus proposer à l’élu, avec près de 70 pour cent des votes exprimés, de trouver un arrangement avec celui qui avait été considéré comme le candidat favori de Washington.

C’est l’ex-ministre des finances (pendant quelques mois) sous Jean Claude Duvalier, Marc L. Bazin, qui fut aussi un haut cadre de la Banque mondiale.
Pas question évidemment, s’écrient les alliés de l’ex-curé de Saint Jean Bosco, particulièrement les Pères du Saint Esprit, en tête le Père Antoine Adrien ; l’ancien dirigeant du PUCH (parti communiste), Dr. Gérard Pierre-Charles ; peut-être aussi les leaders du FNCD qui avaient chaudement fait campagne en faveur de l’élu du 16 décembre 1990, Evans Paul (K-Plim) et Dr. Turneb Delpé et autres.

On comprend. La lutte avait été intense. On était encore en guerre, surtout après la récente tentative, seulement le mois précédent (7 janvier 1991), de l’ancien chef ‘tonton macoute’ Dr. Roger Lafontant de faire un coup d’état.

L’armée déjoua la tentative et jeta Lafontant en prison. Mais les esprits étaient encore surchauffés comme on peut deviner.
L’initiative des trois émissaires de Washington donc était mort-née.

Cependant il s’agit quand même de la puissance dominante. Et on peut se demander si de les avoir mieux écoutés, ne nous aurait pas épargné certains déboires par la suite.

D’ailleurs qui sont les trois émissaires en question ?

Si Robert S. McNamara, ex-président de la Banque mondiale, était là pour soutenir un poulain, Marc Bazin, par contre la démarche de Jimmy Carter et peut-être aussi de Colin Powell était probablement plus ‘politique’, c’est-à-dire avait une signification plus profonde.


En effet, les tout-puissants conseillers de l’élu du 16 décembre 1990 sont peut-être passés trop vite par-dessus le rôle primordial qui fut joué par l’ex-président démocrate des Etats-Unis (1976-1980) dans les événements qui précipiteront la chute de la dictature Duvalier le 7 février 1986.
En effet c’est sous la présidence Carter qu’une expression entra dans l’actualité politique en Haïti, comme une arme secrète qui va miner le régime pour l’entrainer, lentement mais sûrement, vers la sortie. C’est le mot : droits de l’homme.

Le palais national trembla, et Baby Doc, au sens propre, fit pipi dans son pantalon quand l’Ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, le Révérend Andrew Young débarqua à Port-au-Prince et ordonna au régime à vie de libérer tous les prisonniers politiques.
La dictature n’osa opposer aucune résistance. Fort Dimanche fut vidé de tous ses pensionnaires. L’un des chanceux bénéficiaires fut l’auteur de l’ouvrage bien connu ‘Fort Dimanche Fort La Mort’, Rodney Lemoine qui dit tout sur l’horreur qui s’est passée pendant plus de vingt ans en ces lieux.
Mais de plus Jimmy Carter fut le président américain, et le seul à avoir accueilli des haïtiens comme réfugiés politiques, comme fuyant un régime criminel et mortifère quoique allié des Etats-Unis.

C’était après que les portes de la Floride furent ouvertes aux milliers de Cubains que Castro laissa s’échapper pour donner un peu de respiration à son régime … L’affaire Mariel.

Carter accepta que les haïtiens débarquant par la mer fuyaient également une dictature, et leur donna également asile.
Ce fut aussi le premier pas dans la création de Little-Haïti, célèbre quartier haïtien de Miami.
Mais plus encore, la dictature la plus longue que Haïti ait connue (29 ans) fut mise devant l’obligation d’organiser des élections.
Elle refusa. Ce qui entraina sa perte. Parce que contrairement à ce que crurent Baby Doc et sa bande, ce n’était pas une simple décision du président Carter (lorsque ce dernier perdit les élections en novembre 1980, ils s’écrièrent à Port-au-Prince : ‘dwa de lòm fini’) mais c’était un calcul du système politique américain en lui-même.

Donc les vainqueurs du 16 décembre 1990, nos ‘grosses têtes’ à l’époque, étaient si remplis d’eux-mêmes qu’ils en oublièrent le rôle qui a été joué par Jimmy Carter dans l’événement même qu’ils fêtaient ce jour-là, la délivrance d’Haïti de la dictature.

Ils s’en souviendront avant longtemps. En effet Carter sera rappelé à nouveau, par l’administration Clinton, pour négocier avec les militaires haïtiens afin qu’ils ne tentent pas de s’opposer à l’intervention des forces américaines ramenant au pouvoir le président Aristide après son renversement par un coup d’état militaire après seulement 7 mois de pouvoir … évitant ainsi un inutile bain de sang.
Quant à Colin Powell, il est aussi connu non seulement pour ses coups de main diplomatiques, particulièrement pendant cette période de 1986 jusqu’à l’intervention américaine de 1994, mais principalement pour ses évocations d’Haïti dans ses interventions dans le domaine historique.
En effet Colin Powell est jamaïcain de naissance et fils d’immigrant.
Il a grandi à New York comme de nombreux fils d’immigrants haïtiens.
Lui aussi nourri de l’histoire de la première nation noire indépendante du monde et deuxième république indépendante du continent américain …
Pour devenir lui aussi la première personne de race noire et le plus jeune chef d’état-major des forces armées des Etats-Unis, puis Secrétaire d’Etat.
La correspondance est claire.
C’est ce qui lie Colin Powell à notre Haïti et il nous prouve par sa grande carrière, que ce n’est pas rien. Et que ‘Yes we Can.’
Cependant sa mort nous rappelle aussi que nous sommes, nous Haïtiens aujourd’hui, comme à la fin d’une époque.
Lorsque Washington pouvait dépêcher trois personnalités de la plus haute importance pour négocier avec les autorités, les secteurs politiques de Port-au-Prince.
Tandis qu’aujourd’hui disons que c’est totalement le contraire.
Les performances des derniers représentants du ‘grand voisin’, nous faisant plus de mal que de bien.
C’est évident. Puisque eux-mêmes sont en train de l’expérimenter, n’est-ce pas.
Un groupe de 15 missionnaires américains, dont 5 enfants sont depuis plusieurs jours aux mains d’un gang de kidnappeurs à Port-au-Prince.
Ces derniers demanderaient un million de dollars par tête pour les remettre en liberté.
Affaire donc à suivre.

Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince