MIAMI, 15 Juillet (revu le 17 juillet) - Haïti, mine de rien, est en train de regagner sa célébrité, même si c’est dans la Série noire. En effet, ce qui aurait été enterré en un rien de temps par une justice traditionnellement indolente, ou tout simplement vendue, devient un super grand titre au niveau international avec correspondants débarquant de tous les coins du monde tant le dossier de l’assassinat du président d’Haïti, Jovenel Moïse, le 7 juillet écoulé, change chaque jour, chaque minute de dimension, éclate en suspense.
De l’exécution par un commando de tueurs colombiens, comme un vulgaire règlement de comptes entre mafieux de la drogue, en passant par un complot politique ourdi par des ambitieux de bas étage utilisant leur nationalité américaine comme on dirait un diplôme donnant droit aux plus hauts sommets au pays natal …
Voici que tout chavire et les plus hautes autorités actuelles du pays mises également en cause dans le plus grand dossier politique haïtien depuis … ce qui a été, justement, la cause sinon le prétexte de l’occupation américaine d’Haïti en 1915 : l’assassinat du président en exercice, Vilbrun Guillaume Sam. Après une répression féroce : l’exécution d’une centaine de prisonniers politiques.
Reprenons les faits : Mercredi 7 juillet, Haïti se réveille sous le choc : le président Jovenel Moïse a été assassiné.
La nouvelle est annoncée par le premier ministre a.i. Claude Joseph. Celui-là même qui devait le même jour faire ses valises, son remplaçant nommé la veille par arrêté présidentiel.
Toutefois personne ne pense à soupçonner M. Claude Joseph de quoi que ce soit, sauf qu’il ne semble pas mécontent de rester dans son fauteuil.
Accrochages entre les forces de sécurité haïtiennes et des colombiens errant en ville. Trois étrangers tués, plusieurs autres emmenés en prison ainsi que deux américains, haïtiens-américains : James Solages et Joseph Vincent.
Peu après on s’éloigne de la piste criminelle (règlements de compte) pour celle du complot politique. Mais jusqu’ici sans rapport pratiquement avec les acteurs locaux.
Arrestation d’un monsieur Christian Emmanuel Sanon. Médecin établi à Miami. Rentré au pays en jet privé ! C’est lui qui aurait contracté une trentaine de colombiens, retraités des forces spéciales colombiennes, pour assurer sa propre sécurité en Haïti, nous dit-on. Donc un vrai nabab ? Citoyen américain par surcroit !
Quelle idée. Ce monsieur n’est pas vraiment médecin ; de plus c’est un homme d’affaires qui s’est déclaré officiellement ruiné (pour échapper aux poursuites de ses créanciers) et qui s’est réfugié, bien sûr, en Haïti.


Citoyen américain comme les deux premiers (Solages et Vincent) qu’il rejoint en prison.
Mais nouveau volte-face, ce n’est pas Sanon le cerveau du coup comme avait déclaré le directeur général a.i. de la Police nationale d’Haïti (PNH), Léon Charles : mandat d’arrêt lancé contre un ancien sénateur, John Joel Joseph (attention, ‘individu armé et dangereux’, signale la police), également contre un ancien employé de l’ULCC (Unité de lutte contre la corruption), Joseph Félix Badio.
Le troisième suspect est identifié comme Rodolphe Jaar, né en Haïti, parlant couramment l’anglais mais n’est pas citoyen américain. Il aurait fait de la prison aux Etats-Unis pour trafic de drogue ; en même temps, selon son avocat, il aurait coopéré avec les autorités fédérales, pour alléger bien entendu sa sentence. Etc.
Cependant, fausse alerte, ces messieurs seraient comme les 3 premiers déjà mentionnés ce qu’on appelle dans le milieu de la pègre des seconds couteaux, c’est-à-dire eux aussi de simples comparses si jamais ils sont vraiment dans le coup.
Car jusqu’ici rien ne dit que la justice haïtienne, selon la tradition, n’est pas en train d’errer, d’essayer de gagner du temps pour un jour finir par tout faire oublier.
Puis business as usual.
Mais survient un troisième larron.
Les Etats Unis ? Le FBI ? Interpol ? Les Nations Unies ?
Que non ! Aussi bien Washington que l’ONU (Binuh) ont déjà apporté leur bénédiction au nouveau pouvoir, avec promesse par le premier ministre Claude Joseph, soudain seul maître à bord, de tenir les élections générales avant le 7 février 2022, date constitutionnelle pour l’investiture d’un nouveau président élu. C’est la seule exigence du président Biden !
Non ce trouble-fête a pour nom : la Colombie.
Normal, la Colombie ne peut pas accepter d’être trainée dans la boue avec cette histoire de plusieurs de ses ressortissants, ex-militaires par surcroit, débarquant dans un autre pays du continent pour commettre un tel acte : assassinat d’un président en exercice.
Et cela pour quelques dollars de plus !
Le ministre de la défense colombien n’en dort pas, le général en chef de la police prend lui-même la direction de l’enquête. Et on en apprend de belles.
D’abord que le responsable de la sécurité au palais présidentiel de Port-au-Prince a multiplié les voyages en Colombie ces derniers mois.
Qu’est-ce que Dimitri Hérard avait tant à faire dans le pays d’où vient le commando impliqué dans l’assassinat de son président, du président dont il était le premier responsable de la sécurité, Mr. Jovenel Moïse ?
Aux Etats-Unis, du moins dans la légende hollywoodienne, Dimitri Hérard est celui qui devait recevoir la première balle visant son président !
La Colombie fait appel à Interpol.
Aux Etats-Unis on apprend que des indicateurs pour la DEA (agence de lutte anti-drogue) et même le FBI, ont trempé dans le complot. A leur propre compte bien entendu. Pas en tant qu’agent de ces organismes. Mais bien entendu en utilisant les mêmes méthodes. Ainsi que leurs relations. Personne n’est dupe.
L’affaire grossit. Prend des dimensions jusqu’ici insoupçonnées. On en reste baba !
Puis, le jeudi 15 juillet, premier coup de théâtre : Dimitri Hérard, le chef de la sécurité présidentielle, est placé en isolement. Autrement dit en prison. Il avait refusé de répondre à la convocation du juge d’instruction.
Il est aussi recherché aux Etats-Unis, dit-on, dans un dossier de trafic d’armes à destination d’Haïti.
Mais l’investigation colombienne ne s’arrête pas là. Et le même jeudi c’est le nom du premier ministre haïtien en exercice, Dr Claude Joseph, qui parait dans le collimateur.
Suite à leur investigation, l’actuel premier ministre Claude Joseph a (pardon, aurait) été au courant de la conspiration. C’est la conclusion qui ressort d’une longue dépêche de Noticias Caracol, selon laquelle le complot aurait été monté à Miami et au siège d’une agence de sécurité, CTU Security, dirigée par un ressortissant vénézuélien, Antonio Intriago.
C’est fou ce qu’il y a d’étrangers impliqués dans l’opération. En dehors du commando de quelque trente citoyens colombiens, des James Solages, Joseph Vincent et Christian Emmanuel Sanon, tous les trois des naturalisés américains ; l’article parle aussi de ‘quelque 21 officiers, sous-off et soldats à la retraite’ (colombiens), des escales au Panama ainsi qu’en République dominicaine ; du nom de code supposé de l’ex-sénateur John Joel Joseph : ‘triple J’ ; que tous les colombiens n’étaient pas au courant du plan, sauf quelques-uns mais les autres pensaient qu’ils travaillaient pour le gouvernement haïtien ; d’où la confusion apparue dans leur conduite après l’assassinat ; bref il a fallu 7 mois de planification.
Pendant lesquels le président ne s’est douté de rien.
En tout cas, selon les données rassemblées par Noticias Caracol, il était entendu que le premier ministre Claude Joseph prendrait la relève après l’assassinat du président Jovenel Moïse.
Reste bien entendu à le prouver.
En tout cas, cette accusation est tout de suite rejetée par la Direction Générale de la Police Nationale d’Haïti. Dans une note de presse, celle-ci indique : « Contrairement aux allégations diffusées par le media colombien Noticias Caracol, les indices et autres informations collectées dans le cadre de l’enquête ne révèlent aucun lien avec le Premier Ministre en place et les suspects n’ont fait aucune révélation en ce sens. »
En outre, la « Police Nationale met en garde contre toute manœuvre de diversion et renouvelle sa détermination à poursuivre l’enquête. »
Cependant les enquêteurs colombiens semblent bien décidés à aller jusqu’au bout. Fierté nationale.
Mais est-ce la nullité de notre classe politique qui fait que le pays, que l’avenir de notre pays soit ainsi livré aujourd’hui aux mercenaires étrangers de tout poil ? Comme quand les nouveaux Etats africains, dans les années 1960, étaient sous la coupe des mercenaires européens qui y ont semé pillages et assassinats, dont celui d’un Patrice Lumumba.
Haïti à reculons ! Machine arrière toute. A plus de 100 à l’heure.
Dernière minute : Samedi (17 juillet) le Core Group (c’est-à-dire les plus influents membres de la communauté internationale en Haïti) sort une note où il prend position en faveur du premier ministre qui avait été nommé par le président Jovenel Moïse avant son assassinat c’est-à-dire pour le remplacement de Claude Joseph par Dr. Ariel Henry avec pour mission de former un gouvernement de coalition.
Pour un film à suspense c’est sans précédent.

Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM Port-au-Prince