Un stratège nommé Biden
Gouvernement-Opposition : même Calcul
MIAMI, 26 Mai – Le président Joe Biden fait d’une pierre deux coups en renouvelant le TPS (statut de résidence temporaire) pour les Haïtiens réfugiés aux Etats-Unis depuis le séisme qui a ravagé la capitale haïtienne, le 12 janvier 2010.
Parce qu’il ne s’agit pas seulement de renouvellement mais aussi d’élargissement ; en effet la même disposition annoncée le samedi 22 mai écoulé par le Secrétaire à la sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, bloque aussi la déportation des Haïtiens arrivés aux Etats-Unis jusqu’à la date du 21 mai 2021, du fait que la situation en Haïti ne permet pas leur retour pour le moment, vu l’aggravation des conditions aussi bien économiques que sécuritaires ; en un mot vu l’absence de respect des droits humains or celui-ci l’un des piliers de la politique Biden, y compris en affaires étrangères.
Par conséquent c’est une condamnation directe du pouvoir en place en Haïti. Dixit Alejandro Mayorkas : « Haïti connait actuellement de graves problèmes de sécurité, des troubles sociaux, une augmentation des violations des droits humains, une pauvreté écrasante, et un manque de ressources de base, qui sont exacerbés par la pandémie du Covid-19. »
« Après un examen attentif, nous avons décidé que nous devons faire ce que nous pouvons pour soutenir les ressortissants haïtiens aux Etats-Unis jusqu’à ce que les conditions en Haïti s’améliorent afin qu’ils puissent rentrer chez eux en toute sécurité » (fin de citation).
Quelle plus vibrante condamnation du pouvoir en place en Haïti (ainsi que, par extension, du régime qui lui a donné naissance) !
Cependant nous dirions même que Biden fait là d’une pierre trois coups car, indirectement, sciant également la branche sur laquelle s’appuie en ce moment l’opposition haïtienne.
En effet, de guerre lasse, celle-ci en est venue à utiliser la carte Diaspora.


Le 18 mai dernier, une grande manifestation avait lieu sous les fenêtres du premier mandataire américain à Washington pour demander que l’administration américaine cesse de soutenir le président Jovenel Moïse, celui-ci continuant à faire comme si rien n’avait changé avec la défaite de son principal allié, l’ex-président Donald Trump.
Or avec la décision de garder aussi aux Etats-Unis jusqu’à nouvel ordre les ressortissants haïtiens qui y sont parvenus au milieu de cette crise politique, socio-économique et institutionnelle (du moins avant la date du vendredi 21 mai dernier) qui fait rage en Haïti, Biden satisfait la plus importante des demandes de la communauté haïtienne aux Etats-Unis.
Du coup les sollicitations de l’opposition haïtienne risquent de recevoir moins d’enthousiasme de ce côté.
Mais c’est surtout au gouvernement haïtien que s’adresse le message, celui-ci répété sur tous les toits et tous les tons car Jovenel Moïse jouant les durs à cuire, ou faisant semblant.
C’est alors la note publiée par le nouvel ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU tout de suite après avoir rencontré le président haïtien, le lundi 24 mai écoulé, en Equateur à l’occasion de l’investiture du nouveau président élu de ce pays.
Sous le titre « Résumé d’une rencontre entre l’Ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas Greenfield et le Président haïtien Jovenel Moïse », nous lisons : « L'ambassadeur Linda Thomas-Greenfield a rencontré aujourd'hui le président haïtien Jovenel Moïse. Elle a exprimé sa profonde préoccupation concernant l’impasse politique actuelle en Haïti, l’absence de responsabilité pour les violations des droits de l’Homme et la détérioration des conditions de sécurité. L'ambassadeur Thomas-Greenfield a noté qu'à ce jour, les préparatifs du référendum constitutionnel prévu le 27 juin n'ont pas été suffisamment transparents ni inclusifs, et a réitéré qu'Haïti doit organiser des élections législatives et présidentielles libres, justes et transparentes en 2021. L'ambassadeur Thomas-Greenfield a souligné que le peuple haïtien mérite le droit de choisir ses dirigeants et d'avoir un gouvernement qui est à son service.
« Le président Moïse a affirmé son engagement à organiser des élections dans ce délai. »
On n’a pas la réponse du Palais national de Port-au-Prince. Comme si théoriquement les ponts étaient rompus !!!
Sans oublier la dernière intervention de la Secrétaire d’Etat adjointe par interim, Julie Chung, à l’occasion de la fête nationale du Drapeau haïtien, le 18 mai écoulé, mettant on ne peut plus les points sur les i : ‘Les Etats-Unis dénoncent l’autoritarisme, l’impunité, les violations des droits de l’homme et la corruption en Haïti et menacent d’agir contre les responsables’, titre l’agence locale RHI-News, dépêche datant de Washington.
La diplomate a rappelé, après avoir elle aussi rejeté le processus de referendum constitutionnel comme « insuffisamment transparent et non inclusif » que les élections législatives, qui devaient avoir lieu depuis 2019, se font encore attendre.
« De ce retard il résulte un pouvoir exécutif non contrôlé depuis janvier 2020 puisque la chambre basse n’existe plus et qu’il y a trop peu de sénateurs pour atteindre un quorum. »
Julie Chung poursuit : « Cette période de gouvernement par décrets exercée par un seul homme a déjà conduit à l’annonce de la création d’une agence nationale d’intelligence qui est problématique, à l’introduction de définitions douteuses de terrorisme, à la réduction du rôle d’institutions clés comme la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif et à la destitution et au remplacement de trois juges de la Cour de cassation » Etc.
Que faut-il de plus ?
D’abord à l’opposition haïtienne comme armes pour renforcer sa dialectique de lutte qui ne peut, qui ne doit pas se mener uniquement dans la rue mais aussi dans les états-majors - pour la définition d’une nouvelle politique capable de sortir démocratiquement, c’est-à-dire légalement, le pouvoir actuel, incapable et corrompu, de la circulation ? C’est même peut-être l’une des rares fois que l’opposition haïtienne aura eu l’occasion de pouvoir bien marchander une sortie du pays de la crise où on ne finit pas de s’enfoncer depuis si longtemps.
De l’autre côté dernier mot à Jovenel Moïse, comprendre que ça suffit, fini de jouer les matamores pendant que le pays s’enfonce dans l’ingouvernabilité la plus totale … outre les décès pour cause de Coronavirus qui commencent à s’accumuler.
Mais hélas, d’un côté comme de l’autre, il est plus certain, plus que certain qu’on va continuer à jouer le béton, à s’enfoncer dans le refus. Dans le déni.
Parce que d’un côté comme de l’autre, on attend la même chose : une intervention des Marines.
Pour l’opposition, afin de satisfaire son ego qu’elle ne s’assiéra pas avec l’’apprenti-dictateur’ quel que soit le but recherché.
Tandis que le pouvoir y gagnerait que l’administration américaine, en venant le ‘déchouquer’ elle-même, devra aussi s’occuper de le relocaliser, de garantir sa sécurité, comme cela a été fait en 1994 lorsque les Marines ont dû débarquer pour renverser les militaires putschistes (Cédras, Michel François …) de leur piédestal.
Bien sûr tant pis pour l’honneur national !
Et que à chaque fois cela ait fait reculer l’avancée du pays vers une démocratie véritable. Ne profitant qu’aux politiciens magouilleurs ainsi qu’aux dilapidateurs (véritables ‘paka pala’) de la caisse publique.
Nous poussant toujours plus au fond du gouffre. Or on connait la recette : toujours plus de corruption, toujours moins de développement, toujours moins de chance pour une vraie démocratie.
Marcus Garcia, Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince