Un week-end fécond mais un casse-tête nommé Haïti
SANTO DOMINGO, 6 Mars – Nous n’avions pas survolé la République dominicaine, notre voisine territoriale, depuis plus de dix ans. Vu d’avion, rien ne semble avoir changé. Toujours l’impression d’un pays moins ravagé par la main de l’homme que le nôtre, plutôt soumis aux conditions climatiques régionales : exposition aux ouragans, périodes de sécheresse plus longues et autres conséquences de ce qu’on appelle le réchauffement climatique. Bien sûr ce n’est pas la Suisse, ni même Cuba … mais il suffit de comparer avec notre Haïti, le pays voisin, qui ne mérite plus le nom d’île mais qui à vol d’oiseau, n’est que ce qu’il faut simplement appeler un ‘rocher’ égaré quelque part en mer des Caraïbes et on dirait presque irrécupérable !
Par contre, Santo Domingo, la capitale, nous apparait aujourd’hui plus fourmillante, une vraie ruche, un petit peuple déployant un trésor d’imagination pour gagner sa vie. Tout le monde a l’air de s’occuper. Certainement un plus grand sens professionnel qu’on ne voit aujourd’hui chez nous en Haïti. Que ce soit dans la rue où chacun tente de vendre quelque chose à quelqu’un, que l’employé d’hôtel (hélas ceux-ci quasiment vides à cause de l’épidémie de Covid-19 qui a mis à l’arrêt le tourisme qui est la principale source de richesses nationales du pays). Cependant on n’a pas baissé les bras, vide ou pas, chacun est à son poste, et prêt à repartir même à zéro.
Cela dès l’atterrissage de notre vol, parti de Port-au-Prince une heure plus tôt. L’aéroport de Santo Domingo est méconnaissable tellement vide. Mais les services de réception fonctionnent comme une montre.
Et dès qu’on met le pied dans la ‘vieille ville’ c’est l’ambiance caribéenne, ‘meringue’. Malgré que tout le monde porte le masque anti-Covid contrairement à Haïti, l’air est vibrant. ‘Ambiante’ !
Première étape : la chancellerie, ou ministère des affaires étrangères ; drapeau dominicain avoisinant ceux de tous les autres pays du continent, y compris bien sûr le bicolore haïtien bleu et rouge.


Immense bâtiment où se tient dans le hall principal la conférence à laquelle nous sommes venus assister avec environ une vingtaine d’autres confrères des principaux médias haïtiens (traditionnels et numériques).
C’est pour répondre à une précédente rencontre qui avait eu lieu celle-là en Haïti en mai 2015 à l’invitation cette première fois, des médias haïtiens.
L’invité officiel c’est l’organisation ZILE, coiffant les deux pays voisins de l’île, et que dirige un confrère bien connu chez nous et basé en République dominicaine : Edwin Paraison.
L’objectif c’est mettre en place un mécanisme d’échanges par lequel les confrères et consoeurs des deux côtés de l’île peuvent se supporter non seulement contre les menaces de répression qui se sont manifestées ces derniers temps du côté du pouvoir en Haïti qui traverse comme on sait une crise politique intense, mais aussi pour transmettre une meilleure connaissance par les deux peuples de la situation régnant dans leur pays respectif ainsi que de part et d’autre.
Un accord est signé qui met en place un comité haïtien-dominicain de 4 membres (deux dominicains et deux haïtiens) à objectifs de formation, d’amélioration de la qualité de l’information publiée et aussi de protection pour les journalistes des deux côtés.
Peu après, ce samedi 6 mars, le rendez-vous était au palais présidentiel où le président élu Luis Abinader avait tenu à recevoir les deux délégations.
Dîner assis et conversations à bâtons rompus avec le nouveau dirigeant dominicain qui semble avoir Haïti comme une obsession obligée.
En effet les sujets sont de toutes sortes et aussi urgents les uns que les autres ; surtout depuis que deux citoyens dominicains ont été kidnappés en Haïti mettant les relations entre les deux républiques voisines encore plus sous tension, outre la pression de l’immigration illégale haïtienne par la frontière.
Justement le président Abinader a déposé devant le parlement de Santo Domingo un projet de construction d’un mur ‘frontéral’ ou à la frontière.
Le mot ‘mur’ a fait bondir les journalistes haïtiens qui ont longuement questionné le mandataire dominicain sur ses intentions. Nous ne saurions dire le dernier mot sur cette question vu que le gouvernement dominicain semble lui aussi continuer à se questionner.
Au niveau de la crise politique haïtienne, le président dominicain n‘en démord pas : il ne voit (du moins pour l’instant) d’autre solution capable de conserver la sympathie des grandes puissances à la cause démocratique haïtienne que le dialogue entre les protagonistes, quitte à utiliser pour cela la voie d’une grande conférence internationale mais a précisé Abinader, avec la certitude que toutes les parties en accepteraient les résultats.
Sur le plan personnel, Luis Abinader laisse une image sympathique et très engagée, y compris dans le dossier haïtien … qui n’est pas mince. Bien entendu.
Prochaine étape de ce week-end exécuté au pied levé, tambour battant : l’ambassade d’Haïti dans la capitale dominicaine.
On est reçu par un nouvel ambassadeur, Smith Augustin, qui se bat comme un beau diable disons pour joindre les deux bouts : payroll d’un large staff, distribution de la nouvelle carte d’identification nationale surnommée Dermalog après des mois de négligence de la part des autorités de Port-au-Prince, et longue attente des passeports haïtiens fabriqués à Washington surtout pour une communauté haïtienne qui connait un nouveau bond en nombre avec les famille de classes moyennes qui désertent l’insécurité folle en Haïti qui affecte aussi la scolarisation des enfants, voire quand les transferts des parents en diaspora trouvent un meilleur rendement en coût en alimentation comme en loyer en République dominicaine qu’en Haïti.
Nous rentrons dimanche à Port-au-Prince la tête grosse comme ça mais encore plus remplie de questionnements sur l’avenir de notre pays.

Marcus Garcia, 6 Mars 2021, Haïti en Marche-Mélodie 103.3 FM