L’affaire de la villa à 4 millions de dollars d’un sénateur haïtien
MIAMI, 19 Février – Le scandale du sénateur haïtien Rony Célestin qui achète au Canada une maison pour plus de 4 millions de dollars soulève partout l’indignation, cependant un peu moins en Haïti même et on ne sait trop pourquoi. Serait-ce que notre pays soit devenu corrompu, sinon corruptible à ce point-là ?
Revenons au fait lui-même. Il y a une semaine le journal La Presse de Montréal rapportait l’achat d’une propriété à Laval (Québec) au nom d’un sénateur haïtien, Rony Célestin, pour la somme de 4.25 millions de dollars. La transaction a été réalisée en cash, sans un prêt hypothécaire. Ni par la vente d’une première maison détenue par le couple : Rony Célestin et son épouse Marie Louisa Aubin Célestin, employée au consulat haïtien de Montréal.
Peu après, le journal rapportait aussi que l’épouse Célestin avait accordé un prêt de 1,37 million à un certain Jean François Chataigne. Ce dernier devait lancer une entreprise avec Rony Célestin en 2020, selon les registres publics.
On ne sait ce qu’il en est advenu. Interrogé par le journal, Jean François Chataigne, haïtien naturalisé canadien, a déclaré que l’affaire était tombée à l’eau.
Plus d’un million de dollars ainsi passé par … pertes et profits.
Entre parenthèses, la nouvelle entreprise comprenait seulement comme membres : le sénateur Rony Célestin, l’associé haïtiano-québécois et la femme du sénateur faisant office, théoriquement, de secrétaire.
Bien entendu tous ces millions ont une seule origine : Haïti.
Finalement, selon La Presse, les investissements faits par le couple Célestin depuis un peu plus d’une année au Canada, totalisent 6,4 millions.
Interrogé par le journal canadien, l’avocat du couple, Alexandre Bergevin, a répondu par email que ses clients avaient fait fortune dans l’’importation de matériaux de construction et de carburant’.


Le couple possédait déjà une première propriété à Laval, achetée en 2018, pour une valeur de 800.000 dollars ; elle aussi avait été payée en cash, sans frais hypothécaires.
Interrogé sur la fortune (aussi subite) de son employée, le consul général d’Haïti à Montréal, Fritz Dorvilier, a pris la tangente : ‘Elle travaille ici, mais ce ne sont pas nos oignons. C’est une affaire privée.’
En effet.
Rony Célestin, élu député en 2011, est devenu sénateur en 2017, sous la bannière du même parti que l’actuel président de la République, Jovenel Moïse, le PHTK (‘Pati Ayisyen Tèt Kale’), dont le sénateur semble être un proche.
Rony Célestin est aussi l’un des dix sénateurs qui ne sont pas encore parvenus au bout de leur mandat. Il est donc encore en fonction.
D’où la procédure que dit avoir lancé contre lui l’organisme officiel, ou plutôt gouvernemental : ULCC (Unité de Lutte contre la Corruption). Motif : ‘soupçons de corruption.’ Cela, bien sûr, après la publication de ces dernières informations dans la presse canadienne.

Le sénateur Rony Célestin serait un proche du président d’Haïti, Jovenel Moïse …
Comment tant de millions (au moins 6,4 millions de dollars) ont-ils pu laisser le pays quand il existe les instruments de contrôle mis en place, et encore récemment renforcés, par la Banque centrale du pays ? Cela devant l’inflation du taux dollar-gourde sur le marché local, causée justement par la disparition rapide des dollars (celui-ci étant la monnaie d’échange avec l’extérieur) une fois mis en circulation sur le marché local ?
C’est donc que ces gros transferts de millions échappent au contrôle des régulateurs locaux. Et qui sait, peut-être même internationaux car il existe, du moins aux Etats-Unis, un contrôle supposément très serré à partir du moment qu’un transfert s’élève seulement à quelques dizaines de milliers de dollars ?
Poussant certains, y compris des Haïtiens, à avoir osé tenter de passer l’aéroport de Miami, par exemple, avec le magot en cash. C’est la prison.
Cependant il y a bien sûr le jeu des relations. Selon les photos publiées dans la presse du Canada, le sénateur Rony Célestin parait être un intime du président d’Haïti, Jovenel Moïse, dit aujourd’hui de facto après, selon l’opposition, l’expiration de son mandat constitutionnel : le 7 février 2021.
N’importe qui vous dira aussi que si le couple Célestin a pu investir plus de 5 millions de dollars en investissements immobiliers, et surtout payés cash-down, c’est donc que leur fortune s’élève à au moins dix fois plus ?
Cela fait du sens.

Et si le couple était un prête-nom ? …
Mais il y a aussi l’hypothèse que Rony Célestin et son épouse, cette dernière planquée au consulat haïtien de Montréal, alors que l’époux ‘brasse’ comme on dit les affaires sur le terrain, dans la pauvre Haïti, de plus en plus ruinée, aujourd’hui encore plus en loque que jamais auparavant … que le couple soit un prête-nom ?
Car personne qui prenne au sérieux l’annonce du directeur général de l’ULCC qu’il ouvre une enquête concernant les ‘allégations’ soulevées dans la presse canadienne contre un sénateur toujours en fonction …
Car cela remettrait en question un système qui a été mis en place par ses propres patrons. Cela reviendrait à couper la branche sur laquelle on est assis.
Car si l’affaire Rony Célestin ne fait pas encore plus scandale en Haïti même, c’est parce que tous savent qu’il existe un réseau de transferts de dizaines voire centaines de millions à marches forcées d’Haïti vers l’extérieur, et que le dit réseau n’avait jamais autant fonctionné qu’en ce moment même où nous vous parlons.
Que peut-on faire ?
Allez savoir.
On dit qu’il s’en évade probablement autant vers notre voisine territoriale la République dominicaine (dont le nouveau président s’amuse à nous faire périodiquement la leçon …).
Après déjà le scandale des millions du fonds Petocaribe, de l’aide vénézuélienne à notre pays, disparus aux mains d’un certain sénateur de l’ex-parti au pouvoir à Santo-Domingo.
Mais pas un mot de lui dans le programme de lutte contre la corruption entreprise par le président Luis Abinader.

Hypocrisie des ‘pays amis’ ?
Mais le Canada ?
Le Canada du Premier ministre Justin Trudeau qui se plait à se présenter comme l’un des chefs d’Etat les plus libéraux et même progressistes de notre continent ?
Hypocrisie des ‘pays amis’ ?
Mais comme dit le créole : ‘enbesil ki bay, sòt ki pa pran.’
Y aura-t-il moyen après la disparition de l’actuel régime de Port-au-Prince de récupérer une partie de la fortune nationale d’Haïti dilapidée ainsi aux quatre coins du monde capitaliste ?
Des conventions internationales existent à ce sujet.
Cela nous ramène à la ‘fortune des Duvalier’ en Suisse. Dossier classé sans suite, ‘epi epi anyen’, puis plus rien.
Pourra-t-on récupérer les fonds qui au moins auront été localisés ; il faut remercier le journal québécois La Presse et espérer que nos confrères de partout (Etats-Unis, France, Union européenne, Amérique latine et pourquoi pas aussi chez notre voisine la République dominicaine …) sauront continuer dans la même voie, celle de nous aider à repérer l’usage qui a été fait des maigres ressources d’un pays aussi malheureux aujourd’hui, le plus pauvre de l’hémisphère occidental …
Mais faut-il d’abord qu’Haïti sache se préparer en conséquence ?
C’est-à-dire techniquement.
Oui.
Mais d’abord moralement.
Personne qui n’ait remarqué cette sortie par un proche collaborateur de l’actuel locataire du palais national vis-à-vis de l’international : ‘Nous ne permettrons pas qu’on se mêle des affaires internes de notre pays. Haïti est un pays indépendant.’
Ou en créole : ‘etranje pa mele’.
Autrement dit, c’est un signe avant-coureur.

Marcus Garcia, 19 Février 2021