Toto Saieh, Citoyen Exemplaire !

MIAMI, 4 Septembre – Toto Saieh a été assassiné en plein jour, en pleine rue (Lalue), le jeudi 27 Août 2020, et ses funérailles ont été chantées une semaine plus tard, le jeudi 3 septembre.
C’est tout ce que l’histoire retiendra.
Non ce n’est pas vrai, c’est scandaleux. Révoltant !
Dans le même temps un seul sujet occupe l’actualité nationale. Un autre assassinat : celui du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval. Les étudiants bloquent les rues, les avocats défilent épaule contre épaule, dans tous les coins du pays ; les protestations fusent de partout. Y compris du côté de l’international. BINUH (pour les Nations-Unies), et Core Group (ambassades étrangères) et en tête les bâtonnats de France et des Antilles.
Parce que l’assassinat de Me Monferrier Dorval est une affaire politique, c’est-à-dire impliquant directement la politique. Et telle que celle-ci s’exerce actuellement en Haïti. C’est-à-dire avec une épée de Damoclès toujours au-dessus de votre tête.

Vous mourrez à Fort Dimanche - Fort La Mort mais … c’est toujours de votre belle mort ! …

Donc Toto Saieh c’est pas politique. Donc sans importance. Rien qu’un meurtre de plus comme il s’en produit des dizaines par semaine dans l’Haïti d’un certain président Jovenel Moïse.
Et pourtant est-ce que de ce fait même, de cette attitude d’indifférence, et bien entendu indifférence coupable de la part des responsables, tout assassinat dès lors n’est pas politique et aucun qui soit plus politique qu’un autre ?


D’ailleurs qui sait ? Voici que certaines confidences se mettent à circuler sur les médias sociaux ???
Ah me direz-vous, qu’est-ce qu’on ne raconte pas à ce niveau ?
Mais revenons à notre sujet du jour (qui n’est pas le Bâtonnier Monferrier Dorval, une fois n’est pas coutume) mais bien : ‘Marc Michel Saieh’, comme précise l’annonce pour les funérailles qui ont eu lieu le jeudi 3 septembre écoulé, au Parc du Souvenir.
Vous remarquerez tout de suite que l’annonce se contente de dire : ‘le décès de Marc Michel Saieh survenu le 27 août 2020 à l’âge de 84 ans.’
Gladys s’est replacée spontanément dans les années de plomb (oui celui dont sont faites les balles !) sous le règne de Papa Doc (1957-1971).
Shut ! Ici les murs ont des oreilles. Vous mourrez à Fort Dimanche - Fort La Mort mais … c’est toujours de votre belle mort !
Gladys c’est l’épouse de Toto, Gladys Saieh, née Baboun. Elle était avec son mari dans le véhicule, cet après-midi du jeudi 27 août à Lalue (niveau Poste Marchand), l’avenue la plus fréquentée de la capitale haïtienne ; elle a été blessée, elle ainsi que le chauffeur. Elle aurait pu y passer mais les assassins à moto qui ont mitraillé à bout portant le véhicule où le couple était sur la banquette arrière, avaient apparemment une mission bien précise : abattre Marc Michel Saieh, dit Toto Saieh.
Ou comme on aime à dire en Haïti : Toto Saieh pour les intimes.

Loin de penser qu’Haïti pouvait revenir aux pires heures de la dictature Duvalier …

En effet qui ne connait Toto et Gladys ?
Les propriétaires du Food Store, supermarché avant la lettre, le magasin de produits alimentaires le plus achalandé de Port-au-Prince en ce temps-là.
Toujours non loin du Palais national, au Champ-de-Mars, comme le sera plus tard le Piyay Nasyonal , leur nouveau-né, plus grand, plus développé. Plus capable de rivaliser avec la mode des grands supermarchés qui se mettent dès lors à apparaitre partout, y compris dans le reste du pays (Cap-Haïtien, Gonaïves, Jacmel etc).
Mais comme il est de coutume dans ce milieu des levantins (on dit plus couramment chez nous ‘les arabes’) auquel ils appartiennent (leur patronyme le dit bien), Toto est resté une sorte de patriarche pour les nouveaux venus de cette immigration qui n’a pas cessé aujourd’hui encore après plus d’un siècle (on en reparlera peut-être une autre fois), ce qui probablement a pu lui permettre de passer la main plus facilement. La dernière fois qu’on s’est vu, on faisait tous les deux nos emplettes au Caribbean, à Pétionville - il m’a dit qu’il est trop âgé et qu’il n’est plus le responsable du Piyay , mais tout de suite j’ai remarqué à quel point il brûlait de nostalgie à le voir arpenter les rayons du Caribbean les yeux pétillants.
Il était probablement loin de penser que Haïti pouvait revenir aux pires heures de la dictature Duvalier mais que plutôt, grâce à Dieu comme chacun de nous, il avait échappé à l’enfer !
Or ce qui se passe aujourd’hui en Haïti est encore pire. Et malgré que Gladys ait choisi de ne pas mentionner que Toto a été assassiné à ses côtés, en plein jour … et si l’on peut dire non dans les ‘bayahondes’ derrière le Fort-Dimanche comme naguère, et malgré que l’événement ait fait la une serait-ce pendant quelques heures, du moins jusqu’à l’autre assassinat survenu au lendemain, celui du Bâtonnier Monferrier Dorval, malgré tout le scandale provoqué, l’Etat haïtien ne s’est pas dérangé. Cela ne s’est jamais vu, cela n’est même pas concevable.
L’affaire a été exécutée en deux lignes dans la presse : ‘L’adjoint au porte-parole, l’inspecteur divisionnaire Gary Desrosiers annonce que le service d’investigation de la Police nationale d’Haïti a déjà réuni les indices préliminaires liés à l’assassinat (…). Il annonce l’ouverture d’une enquête pour déterminer les coupables.’
Pour l’Histoire, ‘le véhicule a été criblé de balles, au moins dix-neuf douilles ont été collectées par les enquêteurs.’
Selon les témoins accourus nombreux, les tueurs à moto ont disparu une fois leur mission achevée et sans rien emporter, tandis que les secours ont mis longtemps à parvenir. Beaucoup de ‘videos’ ont eu le temps d’être réalisées. Sur l’une d’elles, on entend dire que le corps de la victime bougeait encore … pendant que Gladys blessée, appelait elle-même au téléphone. Tragique !

Il n’y a pas eu d’enquête. Point. Rideau …
Et pourtant comme si c’était quelqu’un mort dans son lit, le juge de paix s’est contenté d’envoyer le corps à la morgue.
Et Gladys a bien compris le jeu, s’empressant de convoquer les funérailles une semaine plus tard jour pour jour.
Donc il n’y a pas eu d’enquête. Point. Rideau.
Les responsables de la sécurité et de l’ordre public étant supposément monopolisés par l’enquête sur l’assassinat survenu le lendemain, vendredi 28 août, du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Monferrier Dorval, alors que celui-ci regagnait son domicile, en soirée et à Pèlerin 5, dans les hauteurs de la capitale, dans le même quartier où habite le président de la république, Jovenel Moïse.
Vous aurez dit que c’est pourquoi il n’y a pas eu d’enquête sur l’affaire Toto Saieh, les responsables ayant une autre occupation plus importante ? En Haïti tout est limité. Par la force des choses. N’est-ce pas ?
Or qu’est-ce qu’on apprend ? Que les policiers chargés de protéger la résidence du Bâtonnier après son assassinat sont partis l’instant d’après, laissant la possibilité à des inconnus de venir vider la maison, emportant y compris le symbole du bâtonnat, un ‘bâton dit de Saint Nicolas’, et de souiller la scène du crime.
Mais étaient-ils d’abord à la recherche de documents importants ? Suivez mon regard !
Puis des bruits se mettent à courir.
D’abord Toto Saieh a été confondu avec un autre Saieh. Fils du grand musicien haïtien des années 50-60, Issa El Saieh, dont les héritiers seraient en conflit avec l’actuel pouvoir au sujet d’une propriété située à Pacot (Port-au-Prince).
Mais comme quoi tout ce qui n’est pas politique n’a aucun intérêt voici qu’une autre rumeur se met à courir : Toto Saieh est aussi un fournisseur en produits d’importation pour l’actuel pouvoir, mais ce dernier a fait beaucoup de dettes à son endroit et il aurait refusé de livrer. Il aurait signé ainsi son arrêt de mort.
Evidemment c’est dur à avaler. Mais voilà, tout ce qui n’est pas politique n’a aucun intérêt dans un pays où l’on tue comme … comme si on voulait forcer tout le monde à prendre la fuite (retenez bien ces mots). Toto Saieh n’y aurait pas crû, après avoir survécu à Papa Doc et ses tueurs qui à l’époque pouvaient envahir son magasin Food Store à n’importe quel moment pour prendre ce qui leur faisait plaisir.

Le couple le plus uni l’un à l’autre en même temps qu’ils sont de rudes travailleurs …

Toto et Gladys se sont mariés très jeunes, ont toujours symbolisé à Port-au-Prince le couple le plus uni l’un à l’autre en même temps qu’ils sont de rudes travailleurs, occupés du chant du coq jusque très tard le soir et tous les jours de la semaine, tous les deux attelés à la même tâche : importation et distribution des produits de consommation courante. Et vendus à des prix défiant toute concurrence. Les petites bourses sont leur fonds de commerce. D’où leur attachement au centre-ville (Champ-de-Mars) et jamais la tentation d’émigrer comme les autres à Pétionville, la banlieue huppée.
Ils ont fait prospérer leurs affaires lentement, tranquillement, se faisant des amis dans tous les milieux, évitant autant que possible tous les pièges, toutes les tentations, en tête bien entendu celles du pouvoir politique.
Cependant ils ont beaucoup souffert comme le savent tous leurs amis. Nombreux. C’est d’abord la mort de leur fille ayant contracté le Sida, au début de l’épidémie, alors qu’elle faisait ses études à l’étranger.
Puis le destin s’acharnant c’est leur seul garçon, l’héritier bien entendu, qui meurt d’un cancer.
Il leur reste une fille, Lorna, qui debout auprès de sa mère, vient d’enterrer son père avec au cœur les sentiments qu’on peut deviner.
Voici donc comment finit l’histoire d’un citoyen exemplaire. Plus révoltant que ça !
Oui, un citoyen exemplaire, comme notre pays ne semble plus mériter d’en avoir.
Or ce ne sont pas les politiciens qui font la richesse d’un pays, mais tout à fait le contraire.
Ce sont les Toto Saieh. On a une vision, on se retrousse les manches, on se bat contre vents et marées, et on gagne … avec tout le monde. Tout le pays. SON PAYS.
Et l’exemple aidant, c’est ainsi aussi que se battit la richesse d’une nation.
Haïti aujourd’hui parait n’avoir pas besoin des Toto Saieh.
Attention, ni de vous-mêmes probablement !

Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince